Visionnaire, J. G. Ballard n’a eu de cesse dans ses romans d’imaginer ces lieux qui préfigurent notre futur urbain. Exploration de quelques territoires de l’univers ballardien, entre folies architecturales et références au surréalisme.
Les nécrologies de James Graham Ballard, mort en 2009, ont mis en avant le caractère sombre, cauchemardesque, dystopique de la réalité qu’il dépeint. Dans l’un de ses derniers romans, Millenium People, récit d’une révolte dans une banlieue de Londres, des consommateurs passifs et hébétés décident de se barricader dans leur centre commercial.
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“Les supermarchés sont les cathédrales de notre nouveau millénaire”, nous avait alors expliqué l’écrivain de science-fiction dans une interview. Il nous avait décrit sa fascination pour certains non-lieux : parkings souterrains, motels, rocades d’autoroutes, aéroports. Il avait expliqué qu’il voulait en dépeindre la “poésie”, se faire le chantre de leur “beauté étrange” et de leur “mystère”.
Une grande partie de l’œuvre de l’écrivain britannique peut ainsi se lire comme une forme d’exploration, minutieuse et obsessionnelle, de ces endroits bizarres qu’il appelle “les rêves terminaux du capitalisme”. Sauf que ceux-ci, bien qu’apparaissant comme vraisemblables et parfois même familiers, sont toujours le fruit de son imagination.
“Je voulais découvrir le rapport entre certains sentiments et les paysages sophistiqués”
Livre séminal écrit dans les années 70, Vermilion Sands en constitue l’archétype. Dans un avant-propos inédit, Ballard précise : “Au moment même où je commençais à écrire sur Vermilion Sands, j’étais fermement décidé à ne pas utiliser les situations de science-fiction traditionnelle (planète extraterrestre, paysage futuriste, etc.)… Je voulais découvrir le rapport entre certains sentiments et les paysages sophistiqués – à la fois intérieurs et extérieurs – qu’allait fournir le dernier tiers du vingtième siècle. D’une part : les placettes nostalgiques de De Chirico actualisées et traduites en parkings à étages fonctionnels. D’autre part : l’exploration d’un univers entièrement dominé par les modes et les fantasmes – le néoclassicisme de la publicité et de l’iconographie commerciale.”
Ainsi, l’écrivain imagine Vermilion Sands, cette station balnéaire sur le déclin, villégiature en plein désert, qu’il situe quelque part entre la Floride et Palm Springs. On y croise un milliardaire fou qui se prend pour le Minotaure et fait construire chaque jour de nouveaux bâtiments de son palais-labyrinthe pour y enfermer sa fille. On y pénètre dans des “maisons psychotropiques”, organismes vivants réagissant à l’humeur de leurs habitants.
“Banlieue exotique de (son) esprit”, comme l’appelait Ballard, Vermilion Sands est aussi le livre dans lequel Ballard rend le plus clairement hommage au surréalisme, dont il s’est toujours revendiqué. Des personnages féminins, créatures fascinantes et dangereuses, y font des apparitions comme dans les tableaux de De Chirico. “Le paysage est un état d’esprit”, disait Dali. Ce mélange paradoxal de kitsch, de carton-pâte et d’authentiques splendeurs reviendra comme un leitmotiv dans l’univers de l’écrivain. Il atteint son apothéose dans Super-Cannes, “cité intelligente” située sur les hauteurs de Cannes, et ode magnifique au baroque en architecture.
Millenium People (Denoël), traduit de l’anglais par Philippe Delamare, 368 pages, 22,30 € ; Vermilion Sands (Tristram), traduit de l’anglais par Paul Alpérine, Laure Casseau et Robert Louit, édition augmentée établie par Bernard Sigaud, 277 pages, 8,95 € ; Super-Cannes (Tristram), traduit de l’anglais par Philippe Delamare, 461 pages, 11,95 €
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