En décrivant les errances d’une jeune femme qui vient de perdre sa mère, l’Espagnole Milena Busquets livre un roman étonnamment sensuel.
Quand devient-on adulte ? Blanca a 40 ans, deux enfants, des amants, tous les pseudo-oripeaux de cet âge adulte aux contours flous, et pourtant elle a l’impression d’être une “imposture”, une éternelle gamine immature : “Tous mes efforts pour quitter la cour de récréation sont des échecs retentissants.” La mort de sa mère vient sonner la fin de la récré, même si Blanca tente de jouer les prolongations. Le jour de l’enterrement, elle aperçoit un bel inconnu et se demande “quel est le protocole à suivre pour draguer dans un cimetière”. Puis elle décide de passer l’été à Cadaqués, dans la maison de sa mère, avec ses fils, ses amies, ses ex et son amant du moment, un homme marié.
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Dans ce joyeux bordel écrasé de soleil, Blanca s’abandonne, s’étourdit d’alcool et d’herbe, passe avec nonchalance d’un corps à l’autre : “Le contraire de la mort, ce n’est pas la vie, c’est le sexe.” Ecartelée entre ses souvenirs et ses désirs, elle fait l’amour pour oublier et étouffer le “hurlement” en elle, concrétion de chagrin, de révolte et de colère. Le temps du deuil, ce moment suspendu entre le monde des morts et “la terre des vivants”, la romancière espagnole Milena Busquets, 43 ans, en restitue la nébulosité avec une impressionnante justesse. Sans doute parce qu’elle a écrit ce livre, son deuxième, peu de temps après la disparition de sa propre mère, l’écrivaine et éditrice Esther Tusquets.
Le roman prend la forme d’une longue adresse à la défunte, mère envahissante, fantasque, “mélange de sorcière moqueuse et de fée pataude”. S’y mêlent des reproches et des regrets, mais qui sont autant de mots d’amour. Un amour contrarié, difficile, mais de l’amour. Ça aussi, ça passera n’a ni l’emphase larmoyante du Livre de ma mère d’Albert Cohen, ni l’aspect clinique d’Une mort très douce de Simone de Beauvoir, deux classiques du genre “lettre à la mère”. L’écriture crue, charnelle, de Milena Busquets ne s’embarrasse pas de voile pudique pour dire des sentiments violents et ambigus, évoquer la perte dans toute sa vérité. Celle qui nous fait douloureusement devenir un peu plus adultes.
Ça aussi, ça passera (Gallimard), traduit de l’espagnol par Robert Amutio, 192 pages, 17 €
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