[Hors-Série « 150 BD Indispensables »] Avec un humour décapant, Christophe Blain et un ex-membre de cabinets ministériels chroniquent la vie au ministère des Affaires étrangères. Une vision lucide et subtile du monde politique.
Christophe Blain aime l’aventure. D’Isaac le pirate au western Gus, il s’était surtout frotté à la bande dessinée de genre. Avec Quai d’Orsay, il part à la découverte d’un monde tout aussi dangereux et féroce : les coulisses de la diplomatie. Pour cette incursion dans le monde contemporain, il s’est associé à Abel Lanzac, ancien membre de cabinets ministériels.
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Double d’Abel dans la BD, Arthur Vlaminck est engagé au cabinet du ministre des Affaires étrangères, Alexandre Taillard de Worms, pour “s’occuper des langages”, soit écrire les discours. Très vite, Taillard de Worms apparaît comme le véritable héros de Quai d’Orsay. Sur la grandiose couverture à la Sempé, on ne voit que lui, ses yeux : deux minuscules traits dans un dessin immense. Au lieu d’être écrasé par le décor, il concentre toute l’énergie. Hyperactif, toujours en mouvement, le ministre affronte ses missions (discours officiels, négociations internationales) et les crises inopinées avec passion et rage. Brillant et ridicule, obsessionnel et versatile, il prend ses décisions en un instant, réfléchit à toute vitesse.
Il assène poncifs et grands principes, se laisse influencer par ses amis. Le résultat, hilarant, montre le tourbillon de contradictions, d’incompréhension, de stupéfaction dans lequel le ministre et son entourage évoluent. Sous la crinière de lion du ministre, on reconnaît Dominique de Villepin. Où finit la réalité, où commence la fiction ?
“C’est difficile à dire, reconnaît Christophe Blain. En substance, tout est vrai. Comme Abel ne pouvait évidemment pas dévoiler des secrets d’Etat, on a trouvé des choses équivalentes ou concentré des faits. Mais même quand c’est loufoque, quand ça a l’air absurde, cela reste très proche de la réalité.”
“On a travaillé le côté épique, théâtral”
Dans Quai d’Orsay, il y a moins d’action que dans une aventure de pirates, mais il s’en dégage pourtant une énergie incroyable. Grâce à des astuces de découpage et de mise en scène complexes, le récit est extrêmement rythmé. Toujours en mouvement, dans des postures extrêmes, Taillard de Worms permet à Christophe Blain de s’exprimer pleinement. Plus vif que jamais, son dessin rend à la perfection le brassage d’air et les grandes envolées poétiques du ministre. Dans ce livre sonore, on entend les portes claquer, les sbires chuchoter, les onomatopées fuser. “On a travaillé le côté épique, théâtral”, confirme l’auteur.
Ce qui commence comme un récit à charge contre les mesquineries du monde du travail et les cuisines de la politique s’avère plus fin et plus riche que ça. Sans cynisme, mépris ou jugement, Quai d’Orsay offre une vision subtile et jubilatoire d’un monde feutré, codé, toujours au bord du précipice. “Notre but n’a jamais été d’écrire un pamphlet. Nous voulions montrer les choses de manière acide mais naturelle, avec le plus de lucidité possible. Inutile d’en rajouter, c’était suffisamment fort.” Le tome 2 brosse avec la même habileté un portrait décapant – et parfois effrayant ! – de la diplomatie internationale.
Anne-Claire Norot
Dargaud, 2010-2011, 2 tomes, réédition en intégrale 2013.
Cet article est tiré du hors-série « 150 BD Indispensables » disponible dans notre boutique ou en kiosque
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