La première production du studio australien Ghost Pattern nous fait partager un week-end de la vie des pensionnaires d’un étrange hôpital flottant dans les airs.
Seul dans la cafétéria, le vieux monsieur en fauteuil roulant choisit ses mots avec soin. Oui, pendant qu’il attend, il apprécierait beaucoup notre compagnie. Plus tôt, dans sa chambre, toujours avec ce petit accent et cette élocution à la fois précise et hachée, il nous avait parlé de son passé. De son Autriche natale quittée il y a longtemps. De la guerre. De sa femme Anna, qui chantait. “Nous sommes vieux, ici”, avait-il ajouté avec l’air de s’en excuser.
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L’homme s’appelle M. Pruess et il fait partie des pensionnaires d’un étrange hôpital installé dans un vieux dirigeable. Il y a l’avenante Ida Vaughan, la plus vacharde Esther Fitzgerald, la docteure Bouchard, affaiblie par son cancer, ou le dandy M. Avery, qui ne quitte pas sa robe de chambre. Et aussi Tomi, qui vit entourée de plantes et ne parle plus. Mais que peut bien être cette statuette d’ours à côté de son lit, vestige probable de sa vie d’avant ?
Tenir compagnie
C’est le genre de questions que l’on se pose dans Wayward Strand, jeu d’enquête d’un genre inhabituel. Nous y tenons le rôle de la jeune Casey, fille de l’infirmière en chef, qui l’emmène à son travail le temps d’un week-end de la fin des années 1970. Rêvant de devenir journaliste, Casey va chercher à en savoir plus sur, par exemple, l’origine de l’aéronef qui héberge tout ce beau monde. Mais sa mère lui demande plutôt d’aider le personnel et de tenir compagnie aux pensionnaires.
Tenir compagnie à ses personnages : telle est également la mission que nous confie le studio australien Ghost Pattern dans une quasi-inversion du rapport qu’on entretient traditionnellement avec le peuple des jeux vidéo. Ces hommes et ces femmes virtuel·les ne nous attendent pas, mais vaquent à leurs occupations. Iels entrent et sortent de leur chambre, vont déjeuner, se rendent visite les un·es aux autres et il est tout à fait envisageable qu’on n’en sache rien si, moins acteur·trice que témoin partiel·le des événements, on n’est pas au bon endroit au bon moment. D’ailleurs, si on décide de rester dans notre coin sans parler à personne, le temps passera de la même manière, le week-end et le jeu s’achèveront et notre unique “punition” sera de ne pas avoir appris à connaître ses habitant·es.
Simulation de vie
Quelque part entre le jeu d’aventure (d’espionnage, presque), le visual novel réinventé en BD ligne claire et la simulation de vie (mais dans un esprit aussi éloigné des Sims que d’Animal Crossing), cette merveille d’écriture et de mise en scène qu’est Wayward Strand frappe autant par son rapport au temps (qui est compté) et au hors-champ (au hors-jeu, disons) que par sa manière très délicate de ne pas prendre de gants.
Dans cette relecture romanesque et un rien excentrique de la visite mi-horrible mi-réconfortante aux (arrière-)grands-parents se disent et surtout se font ressentir des choses fortes sur la jeunesse et le vieillissement, l’usage que l’on peut faire des souvenirs ou la conquête sans cesse recommencée du présent. Avec une douceur et une élégance uniques, à l’image des récits de ce cher M. Pruess. Tout le monde devrait jouer à Wayward Strand.
Wayward Strand (Ghost Pattern), sur Switch, PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series X/S et Windows, environ 20€. Textes et voix en anglais.
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