La nouvelle création des auteurs d’“Enterre-moi, mon amour” nous fait accompagner son héroïne à travers l’une des journées les plus importantes de sa vie.
“Je pense que le véritable indicateur, ce sera quand quelqu’un avouera qu’il ou elle a pleuré au niveau 17”, répondait jadis Steven Spielberg à l’indémodable interrogation sur la nature artistique (ou non) du jeu vidéo. La première chose à dire sur The Wreck est qu’il ne nous a pas fait pleurer.
Il y avait pourtant de quoi, avec son récit dont le point de basculement est la mort d’un enfant et les épreuves par lesquelles passent ses personnages : séparation, hospitalisation, relations familiales toxiques – liste non exhaustive. Et pourtant, non, pas une larme. La nouvelle création du studio The Pixel Hunt (Enterre-moi, mon amour, Inua) manquerait-elle de sens “artistique” ?
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Boucle
Ce serait plutôt le contraire : ce qui fait la beauté de The Wreck, c’est justement son refus de s’engluer dans le pathos. Ou, plus précisément, sa façon de mettre en scène (et en jeu) une situation apparemment bloquée en s’intéressant pourtant d’abord au mouvement, quand bien même celui-ci serait mental, en boucle et guidé par le ressassement.
Notre héroïne s’appelle Junon. Alors qu’elle vient d’apprendre que sa mère, artiste célèbre avec qui les rapports n’ont jamais été simples, se trouve dans un état grave, elle est comme assaillie par le souvenir de quelques journées-clés de son existence. Avec, au centre, cet accident de voiture dans lequel sa fille a perdu la vie et qu’elle ne se remémore qu’imparfaitement.
Notre tâche, alors, quelque part entre Immortality de Sam Barlow et Last Call de Nina Freeman, sera de traquer le sens dans ces séquences que l’on fait défiler à volonté d’avant en arrière et d’arrière en avant. Des mots apparaissent à l’écran : “séquelles”, “compétition”, “mensonge”, “toujours avec moi”… On les sélectionne et ça avance. Un peu, lentement.
Générosité
Il y a cette soirée où un incendie a démarré dans la cuisine, cet oiseau tombé du nid dans l’enfance… Et aussi, dans une soudaine transformation du dispositif, cette vue de la salle de bain familiale jour après jour et image par image, ou encore cette envolée chaloupée à travers une maison de poupées qui semble contenir le réel. Si le jeu vidéo est un art, ce pourrait bien être exactement pour ces deux raisons : pour sa capacité à nous faire visiter des scènes de l’intérieur en nous libérant de l’écoulement du temps autant que de la pesanteur et, en parallèle, pour cette possibilité qu’il nous offre de recommencer, refaire – jusqu’à ce qu’on comprenne, qu’on grandisse, qu’on trouve la sortie ou la lumière.
Il y aurait encore tant à dire sur ce jeu magnifique qu’est The Wreck. Sur son sens du détail, ses voix, ses couleurs, son rapport à l’écriture (qui est aussi une partie de son sujet), sa générosité parfois presque brutale ou sa façon d’appliquer au jeu vidéo ce que préconisait Jean-Luc Godard pour le cinéma à l’époque de Deux ou trois choses que je sais d’elle : “On doit tout mettre dans un film” – ce qu’on voit, ce qu’on vit, ses lectures, la politique, ses amours, ses ami·es… Il y a tout ça et plus encore dans The Wreck. Qui, en larmes ou non, nous accompagnera longtemps.
The Wreck (The Pixel Hunt), sur Switch, PS4/PS5, Xbox, Mac et Windows, environ 20 €.
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