D’une lumineuse mélancolie, le jeu du studio canadien Scavengers nous emmène à la rencontre des dernier·ères habitant·es d’une vallée à la veille d’une catastrophe.
Season aurait aussi pu s’appeler The Last of Us. Les dernier·ères de leur catégorie (“la dernière touriste de la vallée de Tieng”, “le dernier moine”…) en train de (re)devenir un “nous” : sinon une communauté, du moins un collectif de la dernière heure, avant la catastrophe.
Car si elle s’affiche rêveuse et bucolique, façon walking simulator impressionniste, l’œuvre du studio canadien Scavengers peut aussi se voir comme une évolution du jeu de fin du monde. Tout est fichu. Alors, qu’est-ce qu’on fait maintenant ?
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Herbier mémoriel
On part explorer la région à vélo. Tel est en tout cas le projet de la jeune héroïne qui quitte son village avec trois outils essentiels : un appareil photo, un magnétophone et un journal dans lequel elle colle à chaque étape des images saisies sur place, des mots, des croquis… Certains éléments sont imposés et liés à de (gentilles) énigmes, mais l’essentiel dépend de nos “inspirations” qui, dans la plupart des zones visitées, suffisent pour débloquer la “conclusion” de la portion de récit concernée – un parti pris de game design : se creuser la tête est une option, pas une obligation. Rassemblant indices et traces d’existences, ce journal de voyage aux allures d’herbier mémoriel occupe une place centrale dans Season, jusqu’à faire de la composition de ses pages un plaisir en soi.
Une fermière qui a perdu son mari. Une sculpteuse installée en pleine nature. Un vieil homme allongé sur son van qui assure que “l’espoir est ce qu’il y a de plus douloureux”. Un membre de l’organisation “Les Mains Grises” qui coordonne l’évacuation de la vallée avant l’inondation annoncée. Tels sont les personnages que l’on croise, en plus de quelques animaux, au cours de notre périple doux-amer présenté sans modestie particulière comme une enquête sur “la véritable nature de toute chose”. C’est surtout un trajet de l’abstraction des concepts vers le concret, par exemple de “la guerre”, généralité paradoxalement très précise qui sonne ici un peu comme dans un film de Jean-Luc Godard, à ces soldats “endormis” sur un parking.
Épisodes ritualisés
La fin du monde, donc. Ou plutôt d’une “saison”, mot omniprésent mais à la signification un peu incertaine, comme plaqué sur autre chose – un cataclysme divin, une manipulation sectaire ? En cas de doute, revenir aux définitions. Par exemple, chez Larousse : “Époque de l’année [et pourquoi pas de la vie ?] où dominent certains états de l’atmosphère.” Ou à la limite : “Ensemble des épisodes d’une série télévisée, diffusés à intervalles réguliers pendant une période déterminée.”
En effet, Season apparaît aussi comme une fiction à épisodes ritualisés (arrivée de la cycliste, observations, prélèvements…) exploitant à merveille cette idée clé du médium vidéoludique que les lieux ont des secrets à nous confier. C’est un jeu qui parle avec éloquence de la mémoire et de l’oubli, du sommeil et du deuil, de l’art, du choix de croire, de ce que les années font aux paysages et aux gens. Et dont la grande leçon pourrait bien être que, dans l’urgence, rien n’est parfois plus important que de savoir prendre son temps.
Season: A Letter to the Future (Scavengers Studio), sur PS4/PS5 et Windows, de 25 à 30 €.
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