Dans un ouvrage riche en témoignages et pistes de réflexion, le journaliste américain Jason Schreier enquête sur l’instabilité professionnelle des petites mains de l’industrie vidéoludique.
“Toutes les personnes qui travaillaient dans le jeu vidéo avaient une histoire comme la sienne.” Une histoire de licenciement ou de studio qui ferme du jour au lendemain après des années de travail sur un jeu qui, au final, ne se vend même pas forcément mal, et de déménagement à l’autre bout des États-Unis pour y revivre la même chose.
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Le nouveau livre de Jason Schreier, pointure du journalisme vidéoludique américain, déjà auteur en 2018 de l’indispensable Du sang, des larmes et des pixels, n’est pas une ode aux stars de la création de jeux (même si l’on en croise, tel Warren Spector). Schreier s’intéresse surtout aux hommes et aux femmes ordinaires de ce milieu, à qui l’on demande beaucoup (notamment en heures de labeur) et qui subissent de plein fouet les aléas du marché tout comme les décisions managériales aberrantes ou les caprices des décideurs – Ken Levine, le père de BioShock, en prend d’ailleurs pour son grade.
Ces “naufragés du jeu vidéo”
Avec la précision qui le caractérise, le journaliste retrace les trajectoires de ces “naufragés du jeu vidéo” qui s’entremêlent et se ressemblent. Si certain·es ont pu reprendre la mer, d’autres ont renoncé ou, au moins, réduit la voilure, à l’exemple de ces ancien·nes du studio Mythic, jadis fameux pour Dark Age of Camelot, qui se sont relancé·es avec le plus modeste Enter the Gungeon.
Un épatant jeu d’action sur le modèle du Rogue-like, genre dont le signe distinctif est qu’on y repart de zéro après chaque échec dans un monde jamais tout à fait identique mais au fonctionnement similaire à celui de la partie d’avant. Cela ressemble au fond assez aux parcours professionnels des grands témoins de Schreier.
Irrational Games, 2K Marin, Visceral Games, 38 Studios, Big Huge Games… autant de studios qui, aujourd’hui, ne sont plus et sur lesquels se penche Press Reset pour montrer comment les choses ont mal tourné et quel impact leur chute a eu sur celles et ceux qui y travaillaient et, la plupart du temps, croyaient en ce qu’ils et elles faisaient.
Une dimension militante
Ce pourrait être une lecture désespérante. C’est pourtant tout le contraire, grâce au sens du romanesque doublé d’un profond souci de l’humain dont fait preuve l’auteur, ainsi qu’à la dimension militante d’un ouvrage qui ne se contente pas de déplorer mais qui, également, propose.
Trois pistes sont avancées pour sortir l’industrie vidéoludique de sa spirale infernale : l’émergence de sociétés indépendantes, notamment de prestataires techniques, collaborant avec les studios tout en gardant leur destin entre leurs mains (et brisant alors le cycle embauches-licenciements en fin de projet), la syndicalisation des salarié·es du secteur et le travail à distance (pour en terminer notamment avec la valse des déménagements). Un constat qui part des États-Unis, mais porte bien au-delà.
Press Reset – Désastres et reconstructions dans l’industrie du jeu vidéo de Jason Schreier (Mana Books), traduit de l’anglais (États-Unis) par Thomas Davier, 416 p., 18 €. En librairie le 3 mars.
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