Les grands puzzle games se reconnaissent à leur manière de nous forcer à penser différemment. L’œuvre déjà culte de l’Américain Patrick Traynor en fait partie.
Soudain, l’illumination. L’énigme semblait insoluble, une mauvaise blague à se taper la tête contre les murs, et voilà que tout devient limpide, évident. Déplacer cette boîte par là, faire entrer l’autre dedans, la suivre pour ressortir de l’autre côté et le tour est joué ! C’est beau et même émouvant. On retrouve foi en notre cerveau, par moments.
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On peut préférer les aventures spectaculaires et les courses-poursuites endiablées, les trucs qui donnent le vertige ou les dérives arty éthérées, mais l’expression la plus pure, la plus irréductible du jeu vidéo est sans doute celle-là : le puzzle game, le problème à résoudre (logique, graphique, mathématique…) élevé au rang d’art. Quand il est vraiment inspiré, le puzzle game oblige à penser différemment et même, s’il parvient à se renouveler, à remettre régulièrement tout à plat quand ce que l’on croyait avoir assimilé ne suffit pas. Ça peut faire peur, voire décourager. Jusqu’à l’instant, sublime, où chaque chose trouve sa place d’une façon que les mots ne sauraient pas toujours expliquer.
Grammaire ludique
Ce n’est pas faire injure à Patrick’s Parabox que de dire qu’il ne semble à première vue pas révolutionnaire. Il y a des carrés de couleur, dont l’un, que l’on dirige, est pourvu de deux yeux, et des cases sur lesquelles le but est de les amener. Et puis, bientôt, les “paradoxes” de Patrick (Traynor, son auteur) s’imposent à nous. À commencer par celui-ci : une boîte peut à la fois se trouver à l’intérieur d’une autre boîte et contenir cette dernière. Absurde ? Sur le papier, oui, mais à l’image, le principe s’impose à nous avec une incroyable élégance lorsque ladite boîte y coexiste avec sa représentation réduite qui lui est intimement connectée, un peu comme dans Maquette, mais vu de dessus et à plat. D’autres références viennent à l’esprit, Portal, The Witness ou Stephen’s Sausage Roll (à qui Traynor emprunte la coquetterie d’inclure son prénom dans le titre), mais c’est bien sa propre grammaire ludique que crée Patrick’s Parabox.
Mise en abyme
À la base, il y a le Sokoban, ce vieux jeu de réflexion qui, quarante ans après, n’en finit pas de faire des émules (A Monster’s Expedition, Bonfire Peaks, Sokobos…) et dans lequel le but est de ranger des caisses en les déplaçant dans le bon ordre sous peine de se retrouver bloqué. Ce concept inépuisable, Patrick’s Parabox le tord et le transforme en procédant à sa mise en abyme, particulièrement frappante quand notre boîte bouge simultanément et au même rythme sur le terrain de jeu que sa réplique miniaturisée. Ce pourrait n’être qu’un gimmick facile. C’est, au contraire, le point de départ d’une avalanche d’inventions qui se succèderont au fil des 350 casse-têtes élaborés par le game designer américain.
On peut y voir, aussi, une variation subtile et amusée sur la nature même du jeu vidéo et sa manière de mettre en relation deux mondes, le nôtre et celui, réduit mais potentiellement sans limites, qu’il génère pour nous. Mais attention : cette promesse est en même temps un piège mais aussi un appel à la méditation autant qu’à l’expérimentation. Jusqu’à l’illumination.
Patrick’s Parabox (Patrick Traynor), sur Mac, Linux et Windows, environ 17€. À paraître sur Switch
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