L’essai érudit et riche en témoignages du journaliste Raphaël Lucas met en lumière le destin singulier d’un héros dont, depuis 1989, les aventures ont marqué le jeu vidéo.
C’est une saga à part, dont l’histoire a débuté il y a plus de trente ans. Depuis, elle s’est plus d’une fois absentée pour toujours revenir en beauté. La série a accompagné (ou impulsé) les mutations du médium vidéoludique et son créateur, qui a entamé le développement du premier volet à 21 ans, ne s’en est jamais beaucoup éloigné.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
À l’époque, Jordan Mechner vient de sortir le très remarqué Karateka (1984), un jeu d’action qui marque les esprits par la qualité de son animation, réalisée selon la technique de la rotoscopie. Mais avec Prince of Persia, qui sort sur Apple II en 1989 (et gagne en popularité en arrivant sur de nombreuses plateformes les années suivantes), il vise plus haut, plus fort, plus beau.
Passerelles
Après cette première vie, Prince of Persia en connaît une seconde lorsque la série atterrit chez Ubisoft Montréal, d’où sort le superbe Les Sables du temps (2003), dont un remake est attendu cette année. Mechner en est le scénariste aux côtés d’une partie de l’équipe du futur Assassin’s Creed. Vient ensuite l’adaptation au cinéma en 2010 avec, là encore, Mechner à l’écriture. Sans oublier les suites de ses jeux clés et un merveilleux reboot en 2008.
Ce sont toutes ces histoires, qui se complètent et s’entremêlent, que conte le journaliste Raphaël Lucas dans l’ouvrage qu’il vient de publier chez Third Éditions. Ses précédents essais sur Peter Molyneux ou le cyberpunk montraient déjà un goût pour l’édification de passerelles entre les œuvres (écrites, jouées, filmées) et pour les refrains conceptuels.
Corps acrobate
À l’origine, il y a un rêve de cinéma. Ce prince bondissant est ainsi un “descendant aussi bien de Buster Keaton que d’Errol Flynn ou d’Indiana Jones”. Avec lui, “le corps-avatar […] devient corps acrobate, marqueur de temporalités, de rythmes, de microclimax”. D’ailleurs, explique Lucas, “il y a du temps partout dans Prince of Persia, là, dans cette heure qui s’écoule dans le sablier, oui, mais aussi, de manière plus localisée, micro, comme une manière de rythmer la progression au sein de chaque niveau, avec ces herses qui se baissent en quelques secondes […], comme ces mâchoires de métal qui promettent le trépas à quiconque les passe au mauvais moment”. Cela vaut pour l’épisode inaugural (qui se joue en temps limité) comme pour celui de 2003 (où l’on rembobine le temps en cas d’échec).
Avec son sens du flow et de la narration environnementale, Prince of Persia est le jeu qui fait le lien entre Jenova Chen (Journey, Sky) et Fumito Ueda (Ico, à la fois héritier du premier épisode et influence des plus récents), autant qu’entre BioShock et Tony Hawk. Bien d’autres choses émergent aussi du livre riche en témoignages de Raphaël Lucas, sur lequel plane notamment l’ombre des pratiques de management toxique chez Ubisoft révélées par Libération en 2020. Une raison de plus d’en conseiller la lecture : sa fine analyse des œuvres a aussi la grande qualité de ne pas ignorer les conditions de leur création.
Les Histoires de Prince of Persia – Les 1001 vies d’une icône de Raphaël Lucas (Third Éditions), 192 p., 24,90 €.
{"type":"Banniere-Basse"}