L’auteur de “Her Story” et “Telling Lies” nous entraîne dans un fascinant jeu de piste sur les traces d’une actrice disparue.
Qu’est-il arrivé à Marissa Marcel ? Interprète de trois films dont aucun n’a jamais été distribué, l’actrice, qui semblait tout avoir pour devenir une star, a disparu. Mais, un jour, un lot de bobines qui pourrait permettre de faire la lumière sur ce qui lui est arrivé refait surface. On y trouve, dans le plus grand désordre, des rushes de ses trois longs métrages perdus, et des séances de travail et de répétitions filmées. Se trouvent également des passages qui relèvent davantage du home movie, en marge des tournages du drame érotico-religieux Ambrosio (1968) réalisé par un double d’Hitchcock, du polar Minsky (1970) – qui évoque un mélange entre Kubrick et le Nouvel Hollywood – et de Two of Everything (1999), sur lequel plane (comme d’ailleurs sur une bonne partie du jeu) l’ombre de David Lynch.
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Un foisonnement de détails
Ses deux précédentes créations, Her Story et Telling Lies, relevaient déjà du jeu de piste à travers un labyrinthe de séquences vidéo. Mais avec Immortality, le Britannique Sam Barlow radicalise et simplifie à la fois sa démarche en abandonnant le système de mots-clés auquel il avait jusqu’ici recours. Cette fois, c’est en sélectionnant des détails à l’écran que l’on passe d’un extrait à un autre pour en découvrir de plus en plus – on en dénombre au total environ 200. Alors on choisit un visage, une pomme, un siège, un vase, une pendule, une lampe, un verre, un escabeau… Et on regarde où Immortality nous entraîne. Dans une séquence que l’on connaît déjà ou dans une nouvelle ? Vers le passé ou le futur ? Dans une scène de fiction ou au cœur d’un moment plus intime ou détendu ? Équipé d’une moviola visuelle – appareil qui permet de visionner un film pendant le montage -, on triture ces petits films très divers, un coup en avant, le suivant en arrière, en quête d’une piste ou d’une illumination. Tiens, cette fois, on va cliquer sur le chat.
Des correspondances qui font sens
Parfois, on se sent un peu las, perdu. Et puis, comme dans tous les grands puzzle games, s’opère un déclic et on ne lâche plus l’affaire. Car, oui, plus que du cinéma interactif, c’est de ce genre que l’on peut rapprocher Immortality. De Tetris, disons : les briques d’images et de sons tombent du ciel une à une, on les tourne et les retourne pour voir comment elles pourraient bien s’assembler. Et, progressivement, alors que grandit notre mur d’extraits rangés par ordre chronologique, des correspondances émerge le sens. Et quelque chose d’autre, aussi, de l’ordre du subliminal, du mystère dans l’acception religieuse du terme.
Car Immortality n’est pas qu’une déclaration d’amour au cinéma et à ses interprètes, en particulier féminines, doublé d’un travail de titan ahurissant de précision et, pour nous, d’un exercice cérébral particulièrement stimulant. C’est aussi un grand voyage à tâtons, sans guide ni indication, dans un monde de désirs, de cruauté et d’obsessions où la frontière la plus pertinente ne sera jamais celle censée séparer la réalité de la fiction. C’est aussi l’une des expériences ludiques les plus troublantes de ces dernières années, un jeu qui semble n’avoir que faire de nous et qui, soudain, nous regarde dans les yeux, fixement. Un jeu qui nous hantera longtemps.
Immortality (Half Mermaid Productions), sur Xbox Series X/S et Windows, environ 20€ ou inclus dans le Xbox Game Pass. À paraître sur iOS et Android.
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