La belle surprise indé de ce début d’été renouvelle le jeu d’énigmes et d’exploration à la “Zelda” en nous confiant une arme pas banale : un pinceau avec lequel barbouiller son monde à volonté.
Greg Lobanov a de la suite dans les idées. Avec Wandersong (2018), il transformait le jeu de plateforme en aventure chantante, nous confiant le destin d’un barde dont la manière essentielle d’interagir avec l’univers et ses habitant·es consistait à leur jouer de la musique. Chicory : A Colorful Tale s’appuie sur un même principe de mélange des arts ou, plus exactement, de contamination du jeu vidéo par un mode d’expression qui existait bien avant lui. Cette fois, c’est un pinceau à la main que l’on parcourt un monde à la fois farfelu et inquiet qui se présente initialement à nous en noir et blanc. On peint ses arbres, ses maisons, ses chemins, et même les créatures qui le peuplent et qui, curieusement, portent toutes des noms d’aliments. Ce qui va plutôt bien à ce titre délicieux.
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Le jeu “de peinture” n’est pas si rare, au point qu’on pourrait presque y voir un genre ludique à part entière. Il y a eu les deux De Blob (dans lesquels il fallait rendre ses couleurs, synonymes de liberté, à un pays oppressé), le divin Ōkami (qui nous armait aussi d’un pinceau magique) ou encore Splatoon, à qui Chicory emprunte la possibilité de nager dans la peinture (et, ainsi, de se glisser dans des passages inaccessibles autrement). Ce qui est nouveau, en revanche, c’est la place que l’action de peindre occupe dans Chicory, où elle se révèle quasi-permanente. Une main pour diriger notre personnage, l’autre pour le pinceau, et c’est presque sans y penser qu’on barbouille tout sur notre route. Là, on s’applique, on harmonise les couleurs. Ailleurs, on trace juste de grands signes abstraits ou on tamponne le sol au moyen de l’un ou l’autre des “styles” glanés au fil du jeu – des cœurs, des étoiles… Ou alors on garde le bouton appuyé pour que la peinture remplisse la forme dans laquelle on s’est positionné, au risque de la voir déborder si jamais on l’a mal fermée.
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Cahier de coloriage
Le premier plaisir que procure Chicory est là. Il est direct, naïf, presque primitif. C’est à la fois la joie de l’enfant qui s’absorbe dans son cahier de coloriage et celui des premier·es utilisateur·ices de micro-ordinateurs ou de consoles de jeu qui s’étonnent de voir à l’écran l’effet immédiat de leurs interactions –l’auteur de cet article confesse avoir eu d’étranges flash-backs de Pictor, logiciel de dessin du Thomson MO5 qui, dans les lointaines années 80, se pratiquait un crayon optique à la main.
Mais la peinture n’est pas ici qu’un bonus, qu’un truc pour se changer les idées entre deux phases d’énigme ou d’action, car c’est aussi en maniant notre pinceau qu’on déclenche des mécanismes, qu’on fait pousser ou disparaître des arbres, qu’on permet à la lumière de surgir dans des grottes obscures et, même, qu’on affronte les divers boss qui se dressent devant nous. Car, par sa structure de progression proche de celle d’un Zelda, Chicory se révèle finalement assez traditionnel. Des diverses capacités (sauter, nager…) acquises au fil de l’émouvante aventure découlent la possibilité d’accéder à de nouvelles zones de la carte et, ce faisant, de comprendre ce qui a bien pu se passer pour que le monde perde ses couleurs et que, sans compétence particulière, on soit devenu son peintre officiel.
L’utile et le futile
Tout cela est donc inventif et soigné, aussi varié que touchant, mais plutôt classique. Ce qui l’est moins, c’est la manière dont Chicory parvient à joindre l’utile et, disons, le futile en même temps que le drame – comme dans Wandersong, le fond de l’air est inquiétant et les personnages souvent troublé·es – et la comédie juvénile. Car laisser des traces sur notre passage et repeindre les arbres en bleu ou en rose, dessiner un logo pour les t-shirts du café du coin et refaire la déco du toit d’un immeuble sur lequel un type un peu timide voudrait organiser une fête participe de la même logique que le “fond” de l’aventure : ce que le jeu attend de nous et dont la récompense est la possibilité même de s’y adonner, c’est une performance, un engagement, une intervention dans son espace qui s’en trouvera changé. Cela vaut bien sûr pour les quêtes secondaires, comme celles consistant à retrouver des chatons perdus ou à ramasser les ordures abandonnées en pleine nature, mais aussi pour tout ce qui, en termes de progression, ne sert à rien. Le vrai cadeau que nous fait Chicory est là : dans sa manière de valoriser l’inspiration, le geste désintéressé, qui n’apporte pas grand-chose de concret, mais se révèle indissociable du reste. Colorier, n’importe comment et n’importe où, c’est déjà gagner.
Chicory est aussi un jeu qui frappe par son sens du détail. Un jeu qui, comme quelques autres avant lui (Life is Strange, Alba : A Wildlife Adventure…), nous offre quelques endroits, ici un tronc d’arbre, là un banc, pour simplement nous asseoir et regarder autour de nous. Un jeu, aussi, qui trouve le moyen (sans doute le plus élégant qu’on ait vu à ce jour) de donner des indices à celles et ceux qui peineraient à avancer : en disséminant dans son monde des cabines téléphoniques d’où appeler sa maman, pour ensuite choisir ou non d’écouter aussi Papa qui veut toujours en révéler davantage. Un jeu subtil et touchant, un jeu habité. Et dans lequel au besoin, on reviendra sans hésiter se poser.
Chicory : A Colorful Tale (Finji), sur PS4, PS5, Mac et Windows, environ 20€.
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