La nouvelle création des auteurs de “Reigns” nous apprend à manipuler les cartes sur fond d’intrigues dans la cour de la France de la fin du XVIIIe siècle.
Les cartes sont à la mode. De l’entêtant deck-building de Slay the Spire ou Hearthstone, à la grande aventure de Voice of Cards, en passant par les affrontements dansés d’Ooblets, elles se sont glissées ces dernières années dans les genres vidéoludiques les plus variés.
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Mais c’est encore une autre proposition que nous font François Alliot et ses complices franco-britanniques du studio londonien Nerial, déjà responsables de l’excellente saga Reigns, avec Card Shark. Car, dans un beau geste transgressif, le jeu de cartes qu’ils nous ont concocté est une très complète simulation de triche.
28 stratagèmes
Prenant place dans la France de la fin du XVIIIe siècle où, entre autres célébrités d’époque, on croise très vite Voltaire et d’Alembert, Card Shark débute par la rencontre d’un expert en tricheries et d’un jeune sourd-muet dont il fait son élève. À travers lui, c’est nous qui apprenons toute une série de stratagèmes pour gagner. Ils sont au nombre de 28, beaucoup reprenant, pour les compléter, des manipulations découvertes plus tôt. Leurs noms pourraient être les titres des chapitres d’un roman : “Le peintre discret”, “Le cueilleur constant”, “La bouteille de Bourgogne”, “Le comparse inconscient”.
Romanesque
L’un des attraits de Card Shark est justement là : dans sa manière de mettre en relation une pratique exigeante, précise et quasi-tactile (saisir les cartes, les mélanger ou faire comme si). La démarche l’installe quelque part entre le jeu de rythme et le puzzle game. L’intrigue y est profondément romanesque alors que, sur la carte de France, nos héros voyagent d’un riche manoir à une grange en passant par les bains publics avant d’aller jouer à Marseille et de faire, sur un fond très pictural, la traversée jusqu’en Corse. Au programme de notre personnage, il n’y a cependant pas que les cartes mais, aussi, des verres de vin à remplir, des pièces à lancer et même des duels à l’épée. Un cocktail qui, étrangement, réveille le souvenir des jeux hybrides du studio Cinemaware, tel Defender of the Crown, qui ont fait les belles heures de l’Amiga à la fin des années 1980. Mais attention : si les choses tournent mal, il faudra négocier avec la mort elle-même et, selon le mode de jeu, il se pourrait bien que votre décès devienne définitif avec effacement de la sauvegarde à la clé.
Double initiation
Ce que partagent ces deux dimensions — l’aventure historique et la formation à la triche — c’est l’idée d’un monde régi par le secret, par les intrigues et les manipulations. Un monde à (au moins) double fond et dans lequel le hasard n’est qu’un mirage. Jouer à Card Shark, c’est faire l’expérience de cette double initiation au sens le plus noble et sérieux du terme. Pour, peu à peu, se hisser à la place de l’illusionniste qui réarrange le jeu de cartes avant ou même pendant la partie, pour conduire cette dernière jusqu’à l’issue choisie. C’est fabriquer du mystère, domestiquer l’univers. Porté par un désir de toute-puissance ? Plutôt par un élan esthète : celui de l’artiste, du metteur en scène, du game designer. Celui qui change tout, qui rebat les cartes.
Card Shark (Nerial/Devolver Digital), sur Switch, Mac et Windows, environ 20€
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