Le blockbuster d’Ubisoft se distingue par sa somptueuse reconstitution de la planète imaginée par James Cameron.
Dans un essai fondateur publié en 1995, Nintendo and New World Travel Writing : A Dialogue, les universitaires américains Mary Fuller et Henry Jenkins rapprochaient symboliquement l’expérience offerte par certains jeux vidéo du projet colonial en y décelant “une lutte constante pour la possession d’espaces désirables, la frontière instable et changeante entre l’espace sous contrôle et celui qui ne l’est pas [et] le besoin de s’aventurer sur un terrain non cartographié et d’affronter ses habitants primitifs”.
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Avatar : Frontiers of Pandora nous fixe sur le papier un objectif inverse : libérer une terre de celle·ux qui voudraient se l’approprier au mépris des populations autochtones et de son équilibre écologique. Prolongement des films de James Cameron, la dernière grosse production vidéoludique de l’année serait-elle un brûlot authentiquement décolonial et révolutionnaire ?
Espace ouvert
Ne nous emballons pas. S’il est déjà un domaine où ce deuxième jeu Avatar d’Ubisoft (après celui paru en 2009) n’innove pas particulièrement, c’est dans sa manière de pratiquer l’adaptation d’une œuvre cinématographique. Reprendre un modèle de jeu éprouvé pour y installer la fiction dérivée : telle a longtemps été en la matière la règle d’or des éditeur·ices. Or, il se trouve qu’Ubisoft possède une licence reposant justement sur la lutte pour la maîtrise d’un espace ouvert où la confrontation entre l’être supposé civilisé et la nature sauvage occupe une place centrale : Far Cry. Ses logiques et mécanismes divers (vue subjective, chasse, artisanat…) ont donc fait le voyage jusqu’à Pandora.
Végétation luxuriante
Faut-il le regretter ? Pas nécessairement. D’abord parce que grâce à son application à faire évoluer la formule (qui n’aimerait pas s’envoler à dos d’Ikran ?) et à l’ampleur de son aventure, Frontiers of Pandora se révèle le meilleur Far Cry depuis au moins Far Cry : Primal, le spin-off préhistorique de 2016, dont il fait figure d’héritier secret. Mais aussi parce que, des bases étant déjà posées, les développeurs ont pu se concentrer sur l’essentiel : la (re)création d’un monde à la végétation luxuriante pour un résultat éblouissant.
Action tactique
Mieux : les montagnes et forêts phosphorescentes de Pandora n’enchantent pas que plastiquement mais, aussi, par leur manière de réagir à nos actes tantôt précautionneux, tantôt un peu plus brutaux. On découvre par exemple que, selon les plantes, la façon respectueuse de cueillir des fruits change. Il y a l’obscurité qui vient, le bruissement des feuilles au vent et le feulement des bêtes tapies sous les herbes hautes mais, surtout, ce sentiment d’un écosystème à part entière, d’un monde vivant, vibrant, dans lequel la nature exacte de notre rôle se rejoue constamment.
Frontiers of Pandora est une vaste épopée de science-fiction aux séquences d’action tactique souvent tendues (mais d’un intérêt fluctuant). C’est aussi un parfait exemple de jeu multi-activités (là où, parfois, il serait louable de moins s’éparpiller). La grande aventure décoloniale, audacieuse et novatrice n’est pas encore pour aujourd’hui. Mais la balade en forêt profonde, en attendant, nous ravit.
Avatar : Frontiers of Pandora (Ubisoft), sur PS5, Xbox Series et Windows, de 70 à 80€.
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