Gros buzz 2007. Fincher replonge dans le film de genre à pleines mains et en ressort vainqueur par KO technique.
Pour ceux qui l’ignoreraient, Zodiac est le nom du Jack l’Eventreur américain, un tueur en série qui accomplit son œuvre (le nombre de ses crimes est difficilement quantifiable mais on l’estime approximativement à 37) à la fin des années 60 et au début des années 70 dans la région de San Francisco. Chose étrange (les tueurs sadiques ne sont guère connus pour leur capacité à réprimer leurs pulsions), il cessa brusquement ses activités. Ce tueur ne fut jamais arrêté, jamais clairement identifié. Encore aujourd’hui, malgré l’émission de nombreuses hypothèses, le mystère demeure. C’est de ce cas criminel célébrissime aux Etats-Unis que s’empare David Fincher (Seven, The Game, Fight Club et Panic Room) pour le reconstituer vaillamment. Fincher, plutôt réputé jusqu’à présent pour son emphase, pour ne pas dire parfois son enflure, et son goût parfois naïf de la manipulation, réalise une œuvre tout à fait singulière, très cohérente, et sans nul doute aucun son meilleur film à ce jour, celui où il semble enfin maîtriser intelligemment son art et faire exploser les rites du film de genre auquel il s’attelle. Tout grand art est abstrait et c’est en atteignant cet état que Zodiac devient grand. Car, au départ, rien de plus banal, d’inscrit, de répertorié dans nos mémoires de spectateur qu’un film de tueur en série – d’autant plus que Fincher s’y est déjà essayé avec l’outrancier Seven. Toute la première partie du film joue sur les codes reconnus du genre : un crime, la police est sur les lieux, deux flics auxquels nous allons nous attacher se mettent sur le coup, des lettres et des messages téléphoniques anonymes sont envoyés par le tueur aux journaux, etc. Tout y est, bien rangé, bien mis en scène, les lois du genre respectées, y compris dans le style, nous évoluons en terrain connu. Mais ce qu’on ne sait pas encore, c’est que Zodiac cache son jeu, que Fincher, à force de creuser le même sillon, va finir par trouver une voie assez incroyable et très surprenante. Paradoxe ultime, puisque Zodiac est justement un film sur l’absence de voie unique, sur la multiplicité des pistes, sur l’absence d’issue et de solution, sur les difficultés infinies à accéder à la vérité. Dans sa seconde moitié plus particulièrement, à partir du moment où l’enquête est abandonnée par la police et reprise par un jeune dessinateur du San Francisco Chronicle (Robert Graysmith, qui deviendra LE spécialiste de Zodiac – interprété par Jake Gyllenhaal), le film change de visage. Dans un mouvement totalement hystérique, survolté, cocaïné, qui gagne sans cesse en accélération, jusqu’au malaise, au mal de l’air, Zodiac s’attache à décrire une quête obsessionnelle de la vérité, s’amuse à accumuler les enquêtes, à les télescoper, à les interrompre subitement, jouant du chaud et du froid avec un plaisir de sadique sans doute équivalent à celui que le mystérieux tueur a mis à commettre ses crimes et à narguer la police avec ses messages cryptés, mais aussi au plaisir que prend le spectateur à être pris dans cette toile d’araignée collante à souhait, à patauger dans le marais où le film l’a entraîné. Bientôt on ne comprend plus le récit que par bribes, pris dans un tourbillon de solutions qui s’avèrent ne pas en être, dans des arcanes bureaucratiques qui freinent sans cesse l’enquête, jusqu’au moment où tout se décoince, puis se recoince, etc. Tel le héros, pris de vertige, nous nous heurtons sans cesse aux murs d’un labyrinthe qui paraît infini, nous nous perdons dans le dédale des ruelles d’une tour de Babel claustrophobique – d’ailleurs littéralement métaphorisée par des images montrant la construction d’un gratte-ciel en accéléré. Jubilatoire, angoissant, souvent drôle, bien écrit, splendidement et magistralement dirigé, Zodiac sera sans aucun doute l’un des événements les plus réjouissants du Festival de Cannes. Et si Nice Matin recevait une lettre de Zodiac ?
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