Le Cycle du serpent est un documentaire belge tourné au Zaïre en 92. On peut dans un premier temps s’étonner qu’il sorte en salles après plusieurs diffusions à la télévision française, puis s’interroger sur son actualité, car ces cinq années ont vu la déroute puis la mort de celui qui hante tout le film, l’homme […]
Le Cycle du serpent est un documentaire belge tourné au Zaïre en 92. On peut dans un premier temps s’étonner qu’il sorte en salles après plusieurs diffusions à la télévision française, puis s’interroger sur son actualité, car ces cinq années ont vu la déroute puis la mort de celui qui hante tout le film, l’homme à la toque léopard, le maréchal Mobutu. « Hanter » est le mot juste : bien qu’absent physiquement, il n’est question que de lui. Aimé ou détesté, Mobutu est sur toutes les lèvres. De ce point de vue, Le Cycle du serpent est déjà un peu daté, mais s’il a perdu de sa force de témoignage politique à chaud, il n’en reste pas moins un document passionnant sur le peuple zaïrois à un moment crucial de son histoire. En septembre 92, Thierry Michel est sur place pour des repérages lorsque éclate une série d’émeutes grâce auxquelles il peut travailler plus librement, la police étant occupée ailleurs. Deux mois plus tard, les émeutes sont étouffées, le calme de retour. Thierry Michel aussi, avec une équipe de tournage, et c’est de ce calme relatif et fragile que témoigne le film. Comme cinéaste, Thierry Michel s’affirme essentiellement par l’utilisation classique d’un montage parallèle par lequel éclate le scandale des inégalités comme la fausseté du discours des puissants, balayés par le simple enregistrement de la réalité. Pratique qui rendit furieuses les autorités et qui valut par la suite au cinéaste d’être incarcéré dans les geôles de la sûreté zaïroise. Grâce à ce que l’auteur appelle les palabres, manie oratoire qui touche tous les Zaïrois filmés, Le Cycle du serpent gagne une force dramatique, théâtrale. La parole y joue un rôle capital et c’est ce qui frappe le plus : une extraordinaire vitalité oratoire dont ne sont même pas exempts des handicapés privés de l’usage de leurs jambes, obligés de ramper, mais tenant dans les « palabres » la dragée haute aux puissants. Outre ce qu’elle sous-entend de stratégie, il est possible de voir dans cette théâtralisation des rapports sociaux une forme de catharsis au quotidien, qui donnerait seule le courage de vivre encore dans des conditions impossibles, apocalyptiques. Comme les danses et les chants rituels qui accompagnent les funérailles d’un jeune homme tué dans le dos par un militaire, et sur lesquels se termine le film, laissant présager de ce qui adviendra bientôt, la chute définitive après vingt-cinq ans de dictature du terrible Mobutu.
Pierre-Marie Prugnard
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