Le couple Kasmi-Leclerc fait mine d’aborder un assez bon sujet sur la tension entre intimité et notoriété, mais s’endort dans ses petites habitudes.
“Quand un écrivain naît dans une famille, cette famille est foutue” : la citation a été volée à Czesław Miłosz (qui disait plus élégamment qu’elle était “finie”) par Philip Roth (dans une interview pour Les Inrocks en 2009). Elle est devenue une platitude au fil de la dernière décennie littéraire, rythmée par une série d’étalages intimes à taux croissant d’obscénité. La voilà désormais érigée en tagline publicitaire pour affiche de comédie rassembleuse (avec petit point d’exclamation pour parachever l’effet “promo sur le jarret de veau”), ce qu’on peut considérer comme la pierre tombale d’une idée. Et en même temps pourquoi pas ?
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Youssef Salem, petit biographe historique, signe son premier roman et y fait aux musulmans ce que Roth avait fait aux juifs avec Portnoy et son complexe : raconter crûment ce qui le travaille sous la ceinture, exposer la sexualité, la honte, et tout ce que l’ordre puritain veut taire. Problème : il rencontre un immense succès, et sa famille, dont ce livre, trônant sur les devantures, met à nu les sales petits secrets, risque fort de tomber dessus.
Un frustrant sentiment d’évitement
Faire de cette question littéraire de son temps un sujet de comédie est une bonne idée et Baya Kasmi (associée à son partenaire Michel Leclerc, avec qui elle a signé les scénarios de leurs films respectifs : Le Nom des gens, La Lutte des classes, Je suis à vous tout de suite…) aurait pu la mener à bien, mais elle passe plutôt son film à la désigner à distance et à ne jamais la traiter. Youssef Salem a du succès procure ainsi un frustrant sentiment d’évitement, à mesure que le film dévoile sa stratégie consistant à se saturer de péripéties burlesques et de quiproquos convenus en refusant la confrontation annoncée. Youssef court à perdre haleine pour intercepter son père en route vers son bouquiniste, se volatilise en douce de la soirée du Goncourt pour faire disparaître les copies de l’appartement où ses parents vont passer la nuit, et à force de repousser l’échéance de la révélation – sans doute plus compliquée à écrire que ce petit théâtre de guignol –, Kasmi finit par s’en débarrasser en trois minutes à la fin, bâclant ouvertement tout examen de ses conséquences.
On est en droit de s’en désoler, au vu de la pauvreté d’incarnation de ce qu’en chemin le film prétend croquer en fin satiriste : le milieu de l’édition, les médias culturels et surtout la famille arabe, réduite pour la énième fois à une caricature éculée (la tendresse a bon dos pour justifier cet insubmersible cliché fait de rigorisme de façade et d’ouragan pâtissier) dont Baya Kasmi ne se lasse étonnamment pas, qu’elle ressortira probablement sans s’en soucier pour sa prochaine comédie.
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