Jeune cinéaste tourmenté dans les années 1990, Xavier Beauvois a-t-il trouvé la paix et la reconnaissance avec son film sur les moines de Tibhirine ? Rencontre chez lui, en Normandie.
« Une fois, j’ai demandé à Monsieur Beauvois comment était Nathalie Baye », nous explique le chauffeur de taxi qui nous emmène chez Xavier Beauvois, en pays de Caux, ce 24 août 2010. « Il m’a juste répondu : « Comme vous et moi ». Je n’ai pas insisté. » Ça ressemble assez à son cinéma, pense-t-on : direct, franc du collier, au ras du réel. Comment va être Beauvois aujourd’hui ?
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Notre première rencontre, en mai dernier à Cannes, quelques jours avant la remise des prix, avait été simple et émue. On sentait Beauvois heureux de l’accueil réservé à Des hommes et des dieux. Non seulement son nouveau film plaisait aux festivaliers mais certains d’entre eux venaient lui en parler des larmes dans les yeux. Beauvois avait l’air de prendre conscience, après tant d’années, tant de heurts et de blessures, que tout cela n’avait pas été inutile et qu’il avait atteint une certaine forme de réussite et de plénitude artistique. Il avait su toucher les gens, leur faire partager ses sentiments et l’admiration ressentie quand il avait décidé de raconter à sa façon l’histoire des moines de Tibhirine, ces hommes qui voulaient la paix entre les peuples, entre les religions, et dont on a retrouvé un jour les têtes posées dans les montagnes d’Algérie…
Au fond, le film de Beauvois sort au bon moment. Alors que le gouvernement français s’adonne à la danse des sept voiles devant l’électorat raciste, on ne pouvait trouver mieux que cet appel sans pathos au respect de l’autre, Grand Prix du jury de Cannes 2010, pour lui opposer une réponse sereine mais ferme. Artistique. Les nuages glissent vite dans le ciel de Normandie, on se croirait – désolé pour le cliché – dans un tableau de Claude Monet, qui a beaucoup peint ici. Nous traversons les champs à toute berzingue par de petites routes en lacet pendant que le chauffeur nous dresse la liste des célébrités du coin (Mathieu Lindon, la famille Schlumberger).
Xavier Beauvois habite une petite ferme blanche en pierre de silex. Il vit et travaille là depuis quatre ans, après avoir été longtemps parisien. Dans une dépendance, il a installé sa salle de montage (sa compagne est sa monteuse). Pas très loin de la petite propriété, une falaise. Pour ne pas oublier que la roche tarpéienne est toute proche du Capitole et qu’après les honneurs la déchéance peut venir rapidement ? Car en vingt ans et seulement cinq films de long métrage, le jeune chien fou est devenu un cinéaste français qui compte, récompensé par les plus grands prix (dont celui du jury pour N’oublie pas que tu vas mourir en 1995 à Cannes).
Beauvois, lunettes de soleil rectangulaires, nous présente la petite bande chaleureuse qui l’entoure : ses deux fils, son ami l’acteur Adel Bencherif, qui jouait Ryad (le codétenu de Malik qui meurt d’un cancer) dans Un prophète de Jacques Audiard et tient le rôle du terroriste dans Des hommes et des dieux. Jacques Herlin, le père Amédée du film, est là aussi : 83 ans, rasé de près et tout de jean vêtu, il a vécu et tourné vingt ans en Italie dans les années 1960 et 1970 et nous régalera d’anecdotes sur Fellini (sous le regard indulgent de son épouse qui semble les avoir entendues deux cents fois). Beauvois en famille, quoi, si l’on y ajoute la chienne Marlène et l’âne Gabin – dont Beauvois a décidé de faire une star en essayant de le faire poser à côté de lui sur tous les clichés des photographes qui défilent ici depuis quelques jours…
Pendant l’apéritif, on demande à Jacques Herlin comment il a rencontré Beauvois. « Mais par un casting ! Je suis entré dans la pièce et il m’a dit : « C’est bon, tu es pris. » Je ne voulais pas le croire ! » Beauvois, flegmatique, assène sans lever le ton, avec un petit accent parisien : « Quand on rencontre des gens comme Michael Lonsdale ou Jacques Herlin, qui ont à eux deux trois cents films à leur actif, on ne leur demande pas de faire un essai, c’est ridicule et insultant. Pareil pour les techniciens. S’ils étaient nuls, ça se saurait. Moi, de toute façon, dès que l’acteur passe la porte du bureau, je sais si ça sera bon ou pas. » Avis aux jeunes acteurs qui veulent jouer chez Beauvois : travaillez votre entrée !
On pourrait en conclure que Beauvois est un peu paresseux. Nathalie Baye, qui a tourné dans deux de ses films (Selon Matthieu et Le Petit Lieutenant) l’a dit plusieurs fois en interview. Beauvois se rebelle :
« Pas du tout. Quand il y a un boulot à faire, je le fais. Je peux paraître nonchalant, oui. Mais le boulot de metteur en scène de cinéma est particulier. Si tu n’écris pas le scénario de ton prochain film, personne ne vient te chercher. C’est à toi d’avoir une discipline, parfois de te botter le cul. »
{"type":"Banniere-Basse"}