Xavier Beauvois dégraisse le film policier et met le mythe à mort avec une uvre dépouillée. Observations, enquêtes, immersion dans le milieu : un travail de documentariste pour un film juste.
39 ans, quatre longs métrages. Xavier Beauvois est allé vite. Mais pas tant que ça non plus si on considère que son premier film, Nord (1991), est sorti lorsqu’il avait 25 ans. Depuis Selon Matthieu (2000), son précédent film avec Benoît Magimel et déjà Nathalie Baye, cinq ans se sont écoulés, consacrés pour l’essentiel à coller au train une équipe de police afin d’élaborer une fiction qui aurait la précision et la justesse d’un documentaire. Il nous parle de sa méthode de travail, sa façon presque journalistique d’écrire uniquement des choses qu’il a pu vérifier, et aussi de sa conception du cinéaste comme « petite souris ».
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ENTRETIEN > Quel était votre rapport à la police avant de vous lancer dans la préparation du Petit Lieutenant ?
Xavier Beauvois Je ne connaissais les flics que pour m’être fait arrêter quelques fois, notamment pour du shit… Donc, oui, dans la vie, j’ai plutôt un rapport phobique aux flics. Je souffre qu’en France il y en ait partout. Quand on va à New York, à Londres, même en période d’attentats, on en voit moins qu’à Paris. Pour Le Petit Lieutenant, je me suis intéressé à la police judiciaire, ce qui n’a rien à voir avec les mecs qui vous contrôlent dans la rue.
Et pourquoi avez-vous décidé de vous intéresser à leur quotidien ?
Au départ j’écrivais un polar, avec une intrigue policière plus développée. Pour qu’elle soit crédible, j’ai commencé à vivre avec des flics, à les suivre partout. Et au bout d’un moment, j’ai pensé que la matière vécue que je récoltais était plus intéressante, que ça ne pouvait pas être seulement le second plan d’une autre histoire. Alors j’ai eu l’idée de ce petit lieutenant qui sort de l’école, et découvre la réalité quotidienne de cette profession. Ça me permettait de montrer à travers ses yeux tout ce que j’avais observé. J’ai commencé à les côtoyer à partir du montage de Selon Matthieu, en 2000. J’avais suffisamment de matière pour écrire une douzaine de polars. J’ai vu tellement de trucs que j’ai dû épurer, ramener cette matière à quelque chose de très simple.
Si cinq ans séparent chacun de vos trois derniers films, est-ce que c’est parce que vous avez besoin de fournir ce travail d’enquête ?
Nathalie Baye dirait plutôt que c’est parce que je suis la plus grande feignasse de Paris (rires). Je suis un peu d’accord d’ailleurs. Mais en même temps, si les gens veulent voir des policiers dans leur travail, ils n’ont qu’à allumer la télé. Il y a cinq séries sur la police par semaine. Donc pour faire un film un peu juste, il faut quand même bosser. Et puis quand on a la prétention de faire des films sur la vie, on ne peut pas passer son temps sur les tournages. Il faut faire autre chose, voir des films, lire, voir ses enfants grandir, glander, réfléchir, vivre des trucs… Sinon, on n’a plus grand-chose à montrer. Quand je vois que Spielberg tourne un film, le monte le soir et qu’il a déjà une date de sortie trois mois plus tard, je ne comprends pas. Pourtant, j’aime bien ses films. Mais parfois il se plante, comme dans La Guerre des mondes.
Vous n’aimez pas La Guerre des mondes ?
Non, je trouve que le scénario utilise un deus ex machina vraiment trop énorme. Et puis j’ai du mal à voir Tom Cruise aujourd’hui. C’est un film peu inspiré.
Vous avez regardé beaucoup de films télé sur la police pendant l’écriture ?
Pas tellement de trucs français. J’ai essayé une fois PJ et ça m’a paru impossible. J’aime bien The Shield, mais j’ai du mal avec le filmage à l’épaule. Je préfère le côté très cadré des Soprano.
Pensez-vous avoir mis au point quelques principes forts dès votre premier film (l’exigence de réalisme, le mélange comédiens et non-professionnels) et vous y tenir ? Ou au contraire avez-vous l’impression d’avoir beaucoup évolué ?
Je crois que j’avais déjà une morale de cinéma avant de faire des films. Elle était un peu forgée par mon amitié avec des critiques, Jean Douchet, Serge Daney. Après il faut chercher, essayer des trucs, mais cet enseignement m’a un peu servi de parachute avant de sauter. Et puis, il y a les films qu’on découvre et qui vous apprennent aussi des choses. Comme par exemple le sens de l’épure qu’atteint Clint Eastwood dans Mystic River, la place qu’il laisse aux acteurs. Il comprend mieux que personne ce que c’est qu’un acteur. Quand je revois Il était une fois en Amérique, je suis sidéré aussi par la simplicité du film. On en garde un souvenir de chiadage, de complexité, alors qu’a part deux ou trois morceaux de bravoure, la mise en scène va souvent au plus simple.
Avez-vous le sentiment d’appartenir à une génération, celle de ce nouveau cinéma d’auteur apparu massivement dans les années 90, aux côtés de Kahn, Desplechin, Ferreira Barbosa… ?
Ben oui, quand même. De toute façon, une génération, on n’a pas d’autre choix que de lui appartenir. Ça a une existence physique. Et peut-être que celle-là était plus riche et visible que celle d’aujourd’hui, parce que Canal+ ne mettait pas 660 millions d’euros dans le foot, que les producteurs étaient moins frileux. Cédric, Arnaud, moi, on est passés à un moment où c’était encore jouable. Pour un cinéaste débutant aujourd’hui, c’est très chaud.
L’autobiographie était plus présente dans vos deux premiers films, non ?
Quand on écrit un film à 23 ans, on n’a pas le choix : on écrit sur ce qu’on a vécu. En vieillissant, on s’intéresse à d’autres choses. Nord, c’était une question de survie, une entreprise de sauvetage. Il fallait qu’un truc explose, c’était primal. D’ailleurs, le premier jour de tournage, je hurlais comme une brute sur le plateau. Les machinos avaient fait Le Mépris, j’avais la moitié de leur âge, et il fallait que ça soit moi le patron. Au premier film, on ne sait pas si on sait faire. Après, les critiques disent que c’est pas mal. On se demande alors si c’était pas un coup de bol, et du coup on est encore plus stressé sur le second. Maintenant je suis plus détendu, et comme c’est plus facile pour moi, c’est plus facile pour tout le monde.
Plus vous faites des films, et plus ils semblent allégés d’une souffrance qui, dans Nord, semblait très vive. Dans Le Petit Lieutenant, il y a une sorte de bonheur à former un groupe, faire des choses ensemble…
Probablement que, s’il y a moins de souffrance, c’est qu’en prenant de l’âge je vais de mieux en mieux. Je ne sais pas…
Et le cinéma fait partie des choses qui apaisent ?
Pas seulement. C’est vraiment un mélange des deux. Dans le cinéma, on a des moments de jouissance extrêmes grâce au travail. Mais aussi des moments de flip terribles.
Vous avez revu Police de Pialat pour ce film ?
Oui, pendant la préparation. Il y a un sentiment de vérité dans Police que je cherchais. Mais évidemment il ne s’agissait pas de copier.
Vous avez connu Pialat ?
Oui. Il m’avait envoyé chier grave. Je lui avais proposé le rôle du père dans Nord. Je lui ai demandé s’il avait lu le scénario. Il m’a répondu : « Oui, c’est de la merde. Mais tout le monde aujourd’hui fait de la merde, donc vous ferez de la merde aussi. »
C’est le cinéaste en France qui a le plus compté pour vous ?
Je l’aime beaucoup, mais non. Quand j’étais petit, je voulais ressembler à Truffaut. Pour moi, c’était ça un metteur en scène. Sa voix, son écriture. La Chambre verte, c’est quand même époustouflant. Godard aussi, c’est très grand. Et Demy, c’est sublime, parce que toujours sur le fil du rasoir. Si ça rate c’est la cata. C’est risqué tout le temps. Les Parapluies de Cherbourg, Peau d’âne, Une chambre en ville, c’est magnifique. La leçon de Pialat, pour moi, ça a été Passe ton bac d’abord, tourné à quelques kilomètres de là ou j’habitais. Tout à coup, je découvrais qu’un metteur en scène, c’était un mec qui jouait à la petite souris. Il est passé là, près de chez nous, il nous a regardés et il nous a montrés tels que nous étions. D’où il sort ? Qui il est ? On ne l’a pas vu passer. ||
Propos recueillis par Jean-Marc Lalanne
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