A l’occasion de la sortie du film « World War Z », Julien Bétan et Raphaël Colson, les auteurs de l’essai « Zombies! », paru en mars 2013 reviennent sur la figure du mort-vivant, le genre et ce que la créature nous dit du monde actuel. Entretien.
Le film World War Z est décrié chez les amateurs de l’oeuvre originelle (un roman de Marc Brooks, paru en 2006) : il serait un simple film d’action trop peu fidèle. Qu’attendez-vous d’un film de zombies ?
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Raphaël Colson – J’en attends principalement l’esprit Romerien [relatif à George A. Romero, réalisateur de La Nuit des morts-vivants, ndlr]. Il faut qu’il y ait un aspect post-apocalyptique, une réflexion. Le livre World War Z rassemble tous ces éléments, ce qui pour moi en fait un des meilleurs romans du genre. Par contre, je pense que le film, que je n’ai pas vu, est une adaptation-prétexte. Les producteurs utilisent le titre, qui claque, il faut bien l’avouer, pour en faire un blockbuster sans grand rapport avec le livre. Mais peut-être faut-il penser le film comme une sorte de « bonus » par rapport au roman.
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Pensez-vous que le film puisse apporter quelque chose au genre ?
Raphaël Colson – Je ne pense pas, non. Le film sera consensuel, politiquement correct. Dans le livre l’épidémie vient de Chine, ce que l’adaptation tait parce que celle-ci est également destinée au public chinois, et ne doit pas faire polémique. L’oeuvre originelle abordait aussi le conflit israélo-palestinien, sujet qui sera sûrement soigneusement dépolitisé dans l’adaptation au cinéma. C’est dommage, parce que la dimension géopolitique du livre faisait partie de sa richesse. Par contre sur le plan économique, le film est un record. Autour de 2004, beaucoup de productions sont apparues, comme L’Armée des Morts (Zach Synder, 2004), 28 jours plus tard (Danny Boyle, 2002), Bienvenue à Zombieland (Ruben Fleischer, 2009), mais il y a eu un creux depuis. Là c’est le grand retour, le premier film de zombies qui dépasse les 100 millions de dollars de budget, avec une suite déjà prévue !
A quoi sert le zombie ?
Raphaël Colson – Ce qui fascine chez le zombie, c’est sa proximité avec le vivant. Extrêmement malléable, il s’adapte à tous les contextes et à toutes les peurs depuis 80 ans. Il incarne nos peurs, nos angoisses, notre instinct animal. Créature métaphorique par excellence, il est d’ailleurs complètement intégré à notre langage courant. Il évolue avec le temps, comme un reflet négatif de l’humanité, un épouvantail qui met nos peurs à nu. La souplesse de la figure du zombie fait la souplesse du genre, qui peut toujours être renouvelé avec l’apparition d’une oeuvre nouvelle.
Récemment, le zombie est sorti du genre « horreur » pour apparaître dans des comédies (Shaun of the Dead, 2004) et même des films romantiques (Warm Bodies, 2013)…
Raphaël Colson – Warm Bodies est une romance qui se rapproche des films comme Twilight (2009). Le zombie devient séduisant, c’est une phase logique du développement de la figure, dans l’idée du “clade” [un être et l’ensemble de ses descendants, ndlr.], idée que l’on développe dans Zombies !. S’ils ont un ancêtre commun, les zombies sont aujourd’hui multiformes
Et la peur dans tout ça ?
Raphaël Colson – Avec l’effet grand public, la peur n’est plus toujours l’élément essentiel. L’exploitation économique (par la pub, le jeu vidéo, etc.) transforme le zombie en personnage cartoon, sympathique. On se familiarise à sa présence, on rit de lui, ce qui est aussi une manière de domestiquer notre peur. Il a même intégré les livres pour enfants.
Le zombie a-t-il toujours parlé de son époque ?
Julien Bétan – Il est arrivé d’Haïti (occupé par les Américains de 1915 à 1934) aux Etats-Unis comme une chose exotique qui faisait frissonner. A l’époque, la grande peur était d’être zombifié soi-même, privé de son libre arbitre. L’image du zombie, comme celle d’Haïti, était liée à la magie noire, la sauvagerie et l’esclavage. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, dans les films américains, des armées de morts-vivants étaient créés par des savants fous sous l’ordre des nazis. Lors de la Guerre froide, c’est la peur de l’autre, de l’inconnu, de ne pas connaître son voisin, qui est incarnée par les zombies.
Puis Romero arrive à partir de 1968, et il change les règles. Son zombie, plus lent, moins agressif, servait de support à un discours de critique sociale des inégalités. Les créatures n’ont plus de maîtres, on ne sait pas d’où ils viennent, ils ne sortent plus de terre et deviennent cannibales et contagieux. En modifiant le zombie, Romero modifie la peur qu’il véhicule. Le genre s’étend en Europe aussi, où les Espagnols et les Italiens notamment l’utilisent comme moyen de critiquer leur société et leur gouvernement.
Et aujourd’hui, que dit le zombie de l’époque ?
Raphaël Colson – Aujourd’hui, je dirais que plus que tout il caractérise la peur de tout perdre : ce qu’on possède, la civilisation, le contrôle de nous-même… Les films s’intéressent désormais davantage aux survivants et à leur tentative de reconstruire quelque chose après l’invasion. Les rescapés créent soit une utopie soit une dystopie : c’est le principe des derniers civilisés contre les nouveaux barbares, avec le zombie comme troisième acteur.
Julien Bétan – A partir des années 2000, les zombies deviennent des infectés qui courent et sont plus agressifs : ils sont encore une fois dans l’air du temps, à l’époque de la grippe aviaire, de la vache folle et d’un monde qui s’accélère. La figure du zombie est actuellement très utilisée, voire récupérée, et autour d’elle se créent de véritables mouvements. Une certaine extrême-droite américaine survivaliste prend l’exemple d’une invasion de morts-vivants pour inciter à se construire des abris, des bunkers… Les zombies se prêtent bien à leur imaginaire post-apocalyptique. Il y a aussi des campagnes de communication qui s’appuient sur l’invasion comme une métaphore des catastrophes naturelles qui peuvent survenir. Les conseils en cas d’attaque zombie valent en effet aussi pour les ouragans, les tremblements de terre ou les tsunamis. Pendant la Guerre Froide on avait peur des radiations, des mutants. Maintenant, la crainte de la pandémie a pris le relais.
Propos recueillis par Benjamin Rose
Julien Bétan et Raphaël Colson sont les auteurs de Zombies !, aux éditions Les Moutons Electriques
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