Un trio de jeunes adultes talentueux emportés dans un tourbillon enthousiaste par l’un des plus beaux personnages de l’œuvre de Woody Allen : New York. Une vraie cure de jouvence.
“La ville a pris le dessus”, avoue Gatsby (Timothée Chalamet) à sa mère, en tentant de lui expliquer son séjour mouvementé à New York, suite d’errements et de rencontres qui l’ont fait dévier de son dessein initial : un week-end en amoureux avec Ashleigh (Elle Fanning), sa petite amie qui s’est aussi fait kidnapper par la ville. Cette phrase, une longue liste de personnages alleniens auraient pu se l’approprier, tant New York est chez Woody Allen cette zone d’intensité que ses personnages arpentent à la recherche d’un départ de fiction qui toujours arrive – quant au reste de l’Amérique, il serait comme désespérément dépourvu de cette électricité fictionnelle.
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A ce titre, Un jour de pluie à New York ressemble de loin à un nouveau Woody Allen, un film de plus : péripéties romantiques, acteurs contaminés par le jeu allenien (fiévreux, logorrhéique et bardé de références culturelles), Manhattan pareil à un inamovible décor de cinéma. La merveille de ce film tient à un léger décalage opéré sur cette petite musique : si Allen offre régulièrement ses récits à de jeunes acteurs, il n’a jamais autant voulu capter à travers ce trio-là (Chalamet, Fanning, Gomez) l’idée même de jeunesse, synonyme chez lui d’élan vital, d’optimisme indestructible. On se souvient qu’il dispose parfois, ici et là, de petites touches de jeunes filles surdouées et séduisantes, énergiques et perdues dans un monde d’adultes fatigués qui semble être la norme (Mariel Hemingway dans Manhattan, Juliette Lewis dans Maris et Femmes…).
Une zone de lumière dans le regard du cinéaste
Alors, tous ces beaux acteurs, juvéniles, célèbres, talentueux, hyper-techniques et superbement gracieux dans leur manière d’intégrer si évidemment le monde d’Allen, créent un décalage, un pas de côté et une zone de lumière dans le regard du cinéaste qui, on le sent, semble vouloir fixer leur beauté une bonne fois pour toutes, se frotter à leur soleil.
C’est la magie renouvelée pendant 1 heure 30 du dernier plan de Manhattan, où le cinéaste-acteur se faisait contaminer par la joie de vivre d’Hemingway. Il faut voir ce petit lutin de Fanning annoncer à son copain (ils sont tous deux étudiants à Tucson en Arizona) qu’elle doit se rendre à New York pour interviewer son réalisateur préféré : elle en parle comme d’un départ imminent pour le plus grand des parcs d’attractions, un voyage vers le monde d’Oz, le monde d’Allen.
Un film de Woody Allen mais comme déréalisé, un Midnight in Paris à domicile. Manhattan filmé comme une coulée d’enthousiasme, de libido, où la seule connexion possible entre deux êtres semble être le flirt, l’envie de s’embrasser et de coucher ensemble, que le cinéaste systématise ici jusqu’au rêve. Il y a cette magnifique rencontre entre Chan (Selena Gomez, rémanence définitive de Judy Garland : même voix, même air de bébé abîmé qu’on devine sous les manières adultes) et Gatsby qui, d’un trottoir de la ville, se retrouve sur le tournage d’un film, comme si l’un menait naturellement à l’autre.
Il se souvient d’elle, la sœur d’une ancienne petite copine qui a bien grandi. Ils doivent jouer sans transition une scène de baiser, s’y reprennent plusieurs fois avant de la réussir. Ils s’y reprennent une dernière fois à la toute fin, lorsque Gatsby décide de ne pas quitter cette ville dont il veut rester l’acteur.
Chaque plan est un tableau pourvu de sa propre météo
Ces jeunes adultes, qu’on aimerait pouvoir qualifier d’enfants, Allen les filme, Vittorio Storaro les éclaire, et sa photographie apporte à Un jour de pluie à New York une part d’abstraction rêveuse et d’artifice qui transforme chaque plan en tableau pourvu de sa propre météo : une coulée de lumière jaune qui caresse la joue de Fanning, un écran de pluie qui brouille son visage, une séquence d’averse et de gris qui révèle la blancheur surnaturelle de son corps. Le chef-opérateur commente le songe du cinéaste.
Pas de hasard : lorsque Gatsby, qui avait prévu d’aller voir une expo de l’œuvre pétrifiée d’angoisse de Weegee (dont Manhattan était le terrain privilégié), suit finalement Chan au MET, ils déambulent parmi les portraits de Sargent et les paysages de Monet. La scène est splendide, parce que ces deux-là n’admirent pas les tableaux ; ils sont sereins, détachés, comme à égalité face aux chefs-d’œuvre, se sachant être, eux aussi, les sujets d’un tableau éclatant.
“Un jour de pluie à New York” de Woody Allen, avec Timothée Chalamet, Elle Fanning, Selena Gomez (E.-U., 2019, 1 h 32)
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