La crise vue des quartiers pauvres du Missouri. Un beau portrait de jeune fille tenace face à la galère.
Dans le morne flot de films estampillés Sundance, véritable usine de mise en conformité depuis que l’indie est devenu un créneau marketing pour studios aux abois, Winter’s Bone fait figure de lumineuse exception.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Ce second film de Debra Granik – le premier, Down to the Bone, n’est pas sorti en France – se démarque sans mal de ses confrères par sa sécheresse, sa ténuité psychologique et son refus de céder aux sirènes misérabilistes, qui plombaient par exemple Frozen River ou Precious.
Le film s’accroche dès les premiers plans aux boots de son héroïne, la taciturne et obstinée Ree (exceptionnelle Jennifer Lawrence), qu’il ne lâchera plus jusqu’à la fin.
Vendu comme un film social à l’européenne (on pense certes à Ken Loach), Winter’s Bone a tous les traits du western, genre essentiellement américain, abstrait, mythologique.
Ce n’est cependant plus dans le crépuscule que s’avance le spectateur, mais bien dans la nuit noire : les héros ne sont là que zombis engourdis (terrifiant John Hawkes, acteur trop rare qu’on adore dans Deadwood ou Miami Vice), la date de péremption tellement dépassée que personne n’ose encore ouvrir la boîte.
Debra Granik nous fait ainsi découvrir une des dernières frontières américaines, une zone comme perdue dans l’espace-temps : la forêt des Ozarks, dans le Missouri. Sur ce territoire inhospitalier, à côté duquel les villages des westerns d’Anthony Mann ressemblent à d’accueillantes bourgades hobbites, Ree trace son chemin, de cabane en cabane, de marais en abattoir, pour retrouver un père fugitif ayant hypothéqué sa maison pour payer sa caution.
Si elle ne le retrouve pas avant la fin du compte à rebours, mort ou vif, la jeune fille et sa famille seront expulsées, sans états d’âme – dura lex sed lex (preuve qu’on est bien dans un western). A l’instar de Kelly Reichardt (Old Joy, Wendy et Lucy), Debra Granik utilise la crise (morale, économique) comme pur moteur fictionnel, davantage soucieuse d’en montrer les effets concrets que d’en dénoncer les causes.
Point de réel méchant ici (ou alors, seulement des méchants), mais une attention constante à l’inextinguible flux vital des hommes et des femmes : lorsqu’un vieux cow-boy rouillé se saisit d’un banjo, par exemple, qu’un soldat explique longuement, presque en chuchotant, à Ree pourquoi ce n’est pas une bonne idée pour elle de s’engager dans l’armée, ou qu’un enfant se met à faire du trampoline, en apesanteur.
C’est dans cette patience opiniâtre et cette croyance dans les forces souterraines de la fiction que se dessinent, soyons-en sûrs, les premiers pas d’une cinéaste à suivre.
{"type":"Banniere-Basse"}