Autour de la sortie de la meilleure comédie de l’année, « Frangins malgré eux », Will Ferrell revient sur sa collaboration avec Judd Apatow, ses modèles, son enfance ennuyeuse, son interprétation de George Bush…
En France, Will Ferrell n’a pas encore la réputation des congénères comiques d’une Amérique du rire en plein essor. Ben Stiller, Steve Carell et le gang Apatow (En cloque mode d’emploi, Supergrave…) restent nos chéris, et si on a raison de les aimer beaucoup, l’oubli de « Will le frisé » frôle la faute de goût. En quelques films toujours survoltés (Old School, La légende de Ron Burgundy, Les rois du Patins, Semi pro), ce grand échalas a imposé son sens du ridicule émouvant avec une persévérance formidable et un amour non feint pour les tenues affriolantes, parfois homoérotiques, qu’il porte toujours avec conviction. La figure la plus intéressante de la dérision du grand mâle américain, c’est lui. Bonne nouvelle, Will Ferrell revient la semaine prochaine dans Frangins malgré eux, où il croise l’étonnant John C. Reilly. Une comédie romantique cachée entre deux mecs de quarante ans vivant l’un chez son père, l’autre chez sa mère, et forcés de cohabiter. Pas loin d’être l’un de nos dix films de l’année. L’occasion de bavarder avec notre imitateur de George W. Bush préféré. C’est en effet sous les traits du futur ex-président que Will Ferrell s’est fait connaître du grand public américain, à la fin des années 1990.
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https://www.youtube.com/watch?v=vkXWDRLC628
Vous êtes apparu à la télévision pendant la campagne présidentielle, en reprenant votre imitation de George W. Bush dans l’émission comique Saturday Night Live (SNL). Rigolo ?
Je me suis bien marré, d’autant que je me retrouvais à côté de Tina Fey, dont l’imitation de Sarah Palin fonctionne rubis sur l’ongle, et de Darrell Hammond, alias Mc Cain, un bon pote. Ce qui m’a plu, ce sont certains commentaires dans la presse. Ils notaient que tout cela était drôle, mais parlaient aussi de la justesse de la satire. C’est mon but. Quand la comédie touche à la politique, il y a toujours quelque chose à dire au-delà du gag.
Ici, en France, la tradition du commentaire politique par les comiques est assez limitée. Aux Etats-Unis, l’humour a une fonction sociale, sur le câble par exemple, avec The Daily Show ou Colbert Report.
Saturday Night Live a inventé cette tradition depuis sa création en 1975. A chaque élection, l’émission prend une importance énorme. La comédie permet de dire des choses que les médias ne s’autorisent pas ou refusent carrément de dire. Les gens parlent entre eux et nous reflétons leurs préoccupations. Faire rire de la classe dirigeante est important dans le système politique américain.
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En plus de laisser libre cours à votre délire sur W., vos apparitions récurrentes dans Saturday Night Live entre 1998 et 2002 vous ont rendu célèbre, avant le cinéma.
J’ai passé sept ans là-bas. C’était mon premier boulot payé. J’y ai tout appris en participant à un nombre incalculable de sketches sur tous les sujets. J’y ai aussi rencontré Adam McKay, devenu un ami proche et un partenaire de création privilégié, puisqu’il a réalisé La légende de Roy Burgundy (2004), Talladega Nights (2006) et aujourd’hui, Frangins malgré eux.
Frangins malgré eux est un film à la fois burlesque et très fort émotionnellement. Cette histoire de ces deux losers de quarante ans, forcés de cohabiter et qui finissent par s’adorer, ressemble à une comédie romantique contrariée.
Nous avions envie de pousser le propos plus loin que la simple pochade. Les critiques les plus observateurs ont remarqué la dualité du film. C’était 50/50. Il y a les habituels qui disent : « N’allez pas voir ce film, c’est une comédie débile de plus ! » Mais d’autres ont vu que Frangins malgré eux tente une description particulière de la famille américaine. Même si ça reste un film marrant, c’est aussi une love story entre ces deux mecs. Une love story amicale, s’entend. Mais on utilise les ressorts d’une relation amoureuse.
Frangins malgré eux est une production Judd Apatow. Quelle est votre relation avec lui ?
Judd a produit le film, en compagnie d’Adam Mc Kay, Jimmy Miller et moi. Il avait déjà participé à Anchorman et Talladega Nights. Cela dit, il ne me paraît pas forcément juste d’appeler Frangins malgré eux un « film Apatow ». Judd a une relation particulière avec nous par rapport à celle qu’il entretient avec les autres. Il intervient en salle de montage, mais pas vraiment dans le processus de développement et de tournage. Il nous balance quelques notes pendant l’écriture, mais 80% à 90% de ce qui finit à l’écran est signé Adam et moi. Sans compter les impros des acteurs. On utilise Judd d’abord pour son statut et son pouvoir dans l’industrie. Si on a le moindre problème, il prend son téléphone et il arrange tout !
https://www.youtube.com/watch?v=-T3wnP91OnI
Quand l’avez-vous rencontré ?
Un peu avant qu’il ne devienne énorme. Il travaillait depuis une décennie. Il lui a fallu du temps pour obtenir sa réputation, qui est très méritée. Nous avons été associés pour La légende de Ron Burgundy. Après avoir vu le résultat, on s’est dits qu’il fallait continuer de bosser avec un mec aussi intelligent.
On évoque beaucoup la nouvelle nague de la comédie à Hollywood, le nouveau « Frat Pack ». En plus de travailler avec Apatow, vous avez croisé Luke Wilson, Jack Black et Vince Vaughn dans Old School (2003).
Je ne crois pas que ce soit si intéressant de parler de « Frat Pack » ou de « comédies Apatow ». Que valent les étiquettes ? Une chose est certaine, il y a plein de gens drôles à Hollywood ! Nous traversons une époque super pour les comédies… On pourrait même dire que nous atteignons les sommets. Il existe tout un groupe de réalisateurs, acteurs et producteurs qui sont fans les uns des autres. Ils s’entraident, font avancer mutuellement leurs projets. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ne sont pas indépendants les uns des autres.
Parlons travail. Que privilégiez-vous, la mécanique précise du gag ou l’improvisation ?
Je conserve toujours une place importante pour l’improvisation. Ce que je tente de préserver aussi, c’est le fait d’aller dans des directions et des genres différents. Frangins malgré eux a été conçu comme notre interprétation d’une « domestic living room comedy », une comédie familiale de salon, dans une version un peu délirante. Evoluer dans cette sphère narrative minimale mais universelle nous a beaucoup intéressé. Land of The Lost, mon prochain film, marque mon arrivée dans le genre de l’action/aventure. Je suis poursuivi par des dinosaures, il y a des effets spéciaux, mais aussi un commentaire sur le genre…
Quand avez-vous décidé d’être drôle ?
Même si j’aimais faire rires mes potes, j’ai traversé les années d’école sans m’autoriser à croire que je pourrai en faire mon métier. Mon père était musicien et je voyais bien à quel point le monde artistique est instable. Du coup, je suis allé à la Fac, j’ai fait tout ce qu’il fallait faire… Globalement, j’étais le genre de mec qui ne pose pas de problème. Si je faisais l’abruti en cours et qu’un prof me demandait d’arrêter, je m’exécutais. J’étais le clown de la classe, mais un clown consciencieux (rires) ! Après mon diplôme, pourtant, cette voix intérieure n’avait pas totalement disparue… J’ai suivi des cours d’improvisation dans un théâtre à Los Angeles et fait un peu de stand up. J’ai compris qu’il n’y avait pas que mes potes qui me trouvaient drôle la première fois que j’ai réussi à faire rire une salle pleine d’inconnus.
Vous avez été élevé dans la ville très WASP de Irvine, en Californie du Sud. Comment l’atmosphère de cette région vous a-t-elle inspiré ?
Passer les premières années de ma vie dans l’ennui des suburbs (banlieues chics) a construit mon tempérament comique. Irvine est l’une des villes les plus sûres des Etats-Unis. C’est un bel endroit pour grandir, mais il y règne un ennui mortel. Pas d’autre choix que de rêvasser. Je me racontais des histoires drôles à moi-même.
Beaucoup de vos personnages sont des idiots. Avez-vous été inspiré par le plus grand idiot devant l’éternel, Jerry Lewis ?
Il fait partie de mes modèles. Son travail s’apparentait à celui d’un clown, notamment dans la façon dont il utilisait son corps. Mais bizarrement, je dirais que j’aime aussi la subtilité, même dans les circonstances les plus grossières. La subtilité est ce qu’il y a de plus difficile en comédie. C’est pourquoi je suis un grand fan de Peter Sellers, cet idiot subtil. Dans The Party, il avait une façon géniale de ne pas trop en faire tout en se jetant à corps perdu dans le gag. J’ai aussi été marqué par Steve Martin, qui n’avait peur de rien. Parfois, son sens comique touchait à l’abstraction. Il racontait une histoire, et commençait à jouer du banjo sans raison particulière. Andy Kaufman représentait le modèle du comique habité par ce qu’il fait. Même si le public ne riait pas, lui ne lâchait jamais son personnage. Et puis j’ai passé des heures devant SNL avant d’y participer. Tout le monde y était. Chevy Chase, John Belushi, Dan Akroyd, Eddy Murphy. Je comparais les styles…
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Comme définiriez-vous le personnage comique idéal ?
J’aime les mecs stupides qui ne savent pas qu’ils le sont. C’est toute la clef pour moi. Quelqu’un qui, pour aucune bonne raison, évolue dans un monde où il pense que toutes les décisions qu’il prend sont parfaites. Rien ne me fait plus rire. J’aime aussi cette idée très Américaine de la confiance en soi qui ne repose sur rien. Ces gens qui friment et parlent très fort, avec pas grand chose derrière pour justifier tout ce bruit. Hilarant.
Votre point fort, c’est votre corps. Un corps de sportif qui n’a pas du tout l’allure d’un sportif.
Je n’ai jamais eu le moindre problème de confiance par rapport à mon apparence (rires). Faire du sport est une partie de ma vie (Will Ferrell a été commentateur sportif) et de toute façon, je suis obligé de rester actif pour avoir l’air un peu compact. Sinon, je ressemblerais à une ficelle géante ! J’ai l’allure d’un mec moyen qui n’a pas honte de lui-même. Le public aime me voir faire n’importe quoi sans vergogne.
Vous n’avez jamais été tenté par des rôles « sérieux » ?
J’admire les acteurs dramatiques. Mais la comédie reste ma destination naturelle. Je préfère me cacher derrière des personnages incroyables plutôt que de devoir assumer une posture profonde et tout retenir en moi. Je n’aime pas me retenir ! Ma plus grande joie ? Me retrouver dos au mur, forcé de faire le con et de courir dans tous les sens en hurlant comme un poulet pendant vingt minutes.
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