Entre les notes. Dans la foulée de Harry dans tous ses états, ce documentaire de Barbara Kopple sur la tournée européenne du clarinettiste de dixieland jazz Woody Allen propose un intéressant contrechamp à vingt-cinq années de fictions alléniennes. Le premier sujet d’étonnement qu’offre Wild man blues concerne la crédulité des foules. De Paris à Madrid, […]
Entre les notes. Dans la foulée de Harry dans tous ses états, ce documentaire de Barbara Kopple sur la tournée européenne du clarinettiste de dixieland jazz Woody Allen propose un intéressant contrechamp à vingt-cinq années de fictions alléniennes. Le premier sujet d’étonnement qu’offre Wild man blues concerne la crédulité des foules. De Paris à Madrid, les salles sont pleines. Mais pourquoi tous ces braves gens sont-ils venus ? Pour voir un film ? Pour rigoler aux saillies d’un excellent comique de cabaret ? Certes non. Pour voir en chair et en os un des cinéastes/acteurs les plus adulés en Europe ? Sans doute. Mais pour ce petit frisson compréhensible, est-ce bien raisonnable de se taper une heure et quelques de jazz Grévin joué par un orchestre de baloche certes sympathique mais quand même sérieusement limité ? Quant à Woody, c’est un souffleur anémique et l’un de ses solos cacochymes nous donne surtout à entendre ses poumons épuisés couvrant le son de l’instrument occasion d’un gag frisant le pathétique.
Woody et ses musiciens ne valent donc pas tripette et si l’on se demande encore pourquoi l’Olympia était bourré, on reprochera aussi au film de Barbara Kopple ses plages musicales inutilement longues. Mais tout le reste Woody en répétition, Woody dans l’avion, Woody à l’hôtel, Woody et les officiels, etc. est intéressant, tout simplement parce qu’on y retrouve le cinéaste sur son terrain habituel : ses angoisses, ses phobies, son humour et sa propension à en rajouter un chouïa, à faire le clown, surtout devant une caméra. Ainsi, la frontière entre les films d’Allen et ce documentaire tend-elle à s’estomper, Wild man… renvoyant à Harry… le miroir réel de sa problématique : car si les créations d’Allen en disent beaucoup sur lui-même, ce documentaire sécrète à son tour son lot de semences à fictions. Témoin, la superbe et longue séquence du palace milanais, qui pourrait tout aussi bien sortir d’une comédie de Lubitsch. Dans leur immense suite princière, entre la chambre, l’antichambre, le couloir, le salon et la piscine, Woody et sa compagne Soon Yi n’en finissent plus de se chasser, de se croiser et de se perdre, dans un virevoltant ballet de portes qui s’ouvrent et se referment à contre-temps. La scène est également très chaplinesque. Ainsi, le couple s’amuse-t-il de tout ce luxe néoclassique, s’ébroue sans être dupe dans tous ces ors et ce marbre, et Woody semble flotter dans un peignoir trop grand pour lui : il y a dans ce tableau d’une paire d’étrangers écrasés par un décor royal un côté « pouilleux simplement de passage venus roter dans la soie et la bienséance » qui renvoie aux vagabonds de Chaplin. Malgré son embourgeoisement, Allen, éternel émigrant, porte en lui les traces immémoriales de la gadoue du shtetl (ainsi qu’une once de vulgarité américaine) et en souille avec délice le décorum néo-renaissance de l’hôtel. On retrouve le parfum du shtetl dans la scène du repas chez les parents (voir les parents de Woody bien vivants est d’ailleurs une autre surprise de taille). Woody Allen y apparaît dans toute son identité fracturée : il est donc ce cinéaste mondialement célèbre, foulant depuis des années le moelleux tapis rouge déroulé par le gratin de la critique européenne, mais aux yeux de ses parents, il demeure le petit Allen Konigsberg, un schmuck devant l’éternel, un raté qui aurait dû faire pharmacie et épouser une bonne juive. C’est là l’ultime blague acide de Woody Allen, la seule dont il ne soit pas l’auteur.
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