Retour sur la filmographie parcimonieuse (5 films en presque 30 ans) d’un maître de la comédie américaine la plus subtile et sophistiquée qui soit. Son nouveau film, « Love & Frienship », avec Chloé Sevigny et Kate Beckinsale, vient de sortir en France
Catalogué comme WASP (White Anglo Saxon Protestant) parce qu’il met en scène la jeunesse blanche et bourgeoise américaine, Whit Stillman a su jouer en virtuose, dès son premier film Metropolitan, avec cette image preppy (BCBG), quitte à la distordre et la pousser dans ses retranchements grinçants et cyniques.
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Entre Eric Rohmer et mumblecore
Cependant, en réduisant ainsi le cinéaste à cette classe sociale, on oublie aussi le paradoxe suivant : si ses films mettent en scène des membres de la société opulente, il le fait avec des budgets très modestes. Stillman pratique en effet un arte povera dont la vraie richesse se résume à un élément qui ne coûte pas cher au cinéma : la parole. Tout comme Eric Rohmer, son éventuel mentor putatif, qui tournait des films avec des bouts de ficelle, Stillman met en scène de belles et jeunes personnes échafaudant des intrigues, nouant et dénouant des liens amoureux, grâce au simple pouvoir des mots.
Certains critiques américains appellent d’ailleurs ses films des “talkfests” (fêtes de la parole). Ce principe, que Stillman n’a pas inventé, bien évidemment, a tout de même ouvert la voie à d’autres cinéastes indépendants, qui conjuguent désinvolture et moyens réduits pour narrer, non sans dérision, les (més)aventures de jeunes citadins souvent désœuvrés et affichant un hédonisme anti-social. Cela s’est cristallisé à travers le courant “mumblecore”, illustré notamment par Noam Baumbach, les frères Safdie, Andrzej Bujalski et Alex Ross Perry – Wes Anderson et Sofia Coppola étant en quelque sorte les mentors bienveillants de cette veine à la fois drolatique et laid-back.
Officiellement, Stillman se situe en dehors de ce mouvement, dont il partage implicitement une partie de la philosophie. Il l’a reconnu sans le reconnaître avec cette boutade sur Damsels in distress : “c’est du mumblecore mais avec une diction plus claire”. “Mumble” signifiant marmonner, on voit le gag. N’empêche qu’il a offert le rôle principal du film à la Jeanne d’Arc du mumblecore Greta Gerwig. Un choix qui a permis au cinéaste de rebondir et de connaître un second souffle après la longue traversée du désert qui a suivi The Last Days of Disco. Si le sarcasme et le cynisme étaient courants chez ses personnages dès Metropolitan, il leur manquait une distanciation que cette grande folle de Gerwig a apportée.
Cette légèreté a ensuite bénéficié à son adaptation enlevée de Jane Austen (Love & friendship) et peut-être aussi à son projet de série The Cosmopolitans, située à Paris, dont il n’a tourné qu’un pilote, produit par Amazon, en 2014 (avec sa fidèle Chloe Sevigny). Après avoir interrompu ce projet pour tourner Love & friendship, il devrait le poursuivre incessamment…
Pour l’heure, la sortie de Love & friendship est l’occasion de faire le faire le tour de la brève filmographie du cinéaste : seulement cinq films en 25 ans.
Metropolitan (1990)
Sorti dans le sillage des romans des enfants terribles de J.D. Salinger, Moins que zéro de Brett Easton Ellis et Journal d’un oiseau de nuit de Jay McInerney, le premier film de Stillman, situé dans l’upper-class new-yorkaise en pleine mode yuppie, se focalise avant tout sur leurs cousins BCBG les preppies (étudiants de bonne famille WASP). Il s’inspire de fêtes étudiantes fréquentées par l’auteur dans les années 1970. Moins trash que B.E. Ellis, plus cinglant que McInerney, Stillman place tout de suite la parole, la pique, et la trahison amoureuse au centre du récit.
Rien d’extrême, mais des cœurs chamboulés sous une apparence de détachement, qui est une des marques du style New England du cinéma de Stillman, où le feu couve sous la glace et où l’on feint l’indifférence en se tourmentant intérieurement.
Barcelona (1994)
https://www.youtube.com/watch?v=hnytcMClO38
Et rebelote en Espagne, pays que Stillman connaît bien puisqu’il y a travaillé plusieurs années et y a rencontré son épouse. Cette fois, comme plus tard dans le pilote de sa série The Cosmopolitans, il met en scène des expats. Des Américains qui, comme lui dans les années 1980, vivent et travaillent en Espagne. En l’occurrence Ted et son cousin Fred, incarnés par les deux meilleurs acteurs de Metropolitan – dont le subtil et piquant Chris Eigeman –, qui courtisent des jeunes indigènes assez méfiantes en se cassant mutuellement la baraque. Cette fois, Stillman pousse le cynisme et la dérision pince-sans-rire dans le rouge.
The Last Days of Disco (1998)
Œuvre plus complexe et nuancée que les précédentes, qui met cette fois en scène des jeunes femmes, deux roommates et collègues travaillant dans une maison d’édition, et également rivales en amour. Une grande partie du film, situé comme le précédent dans les années 1980, se déroule dans un club disco – genre musical dont les héroïnes sont férues. Si Stillman désirait prendre des distances avec l’autobiographie en donnant le rôle principal à des femmes – en l’occurrence la British Kate Beckinsale et la sulfureuse Chloë Sevigny –, il s’inspire tout de même de sa propre expérience.
Sorti au milieu d’un mini-revival disco, ponctué au moins par trois films, dont Studio 54, et dans une moindre mesure Summer of Sam de Spike Lee (un an plus tard), le film porte bien son titre mélancolique. Il décrit à la fois l’agonie d’un genre musical et une amère désillusion chez ses personnages.
Damsels in distress (2011)
https://www.youtube.com/watch?v=J0RrTl3tA1w
Après s’être évertué pendant douze ans à tourner des projets en Grande-Bretagne (et avoir émigré en France), Stillman revoit ses ambitions à la baisse et obtient la participation de Castle Rock, qui avait produit ses films précédents. Décrivant les aventures d’un groupe de pimbêches désopilantes qui tiennent un “centre de prévention du suicide” dans un collège américain, et entrent en conflit avec le rédacteur en chef du journal de l’université, le cinéaste pousse la satire et l’humour encore plus loin. Ceci, grâce à l’apport de Greta Gerwig, égérie du courant mumblecore, qui ajoute une couche zinzin au comique stillmanien.
L’œuvre la plus stylisée à ce jour du cinéaste, qui flirte de loin en loin avec la comédie musicale – ce qui explique en partie le titre, emprunté à un film de 1937 avec Fred Astaire.
Love & Friendship (2016)
https://www.youtube.com/watch?v=KhvyupqNhL8
Ayant lui-même évoqué Jane Austen dans ses films, et lui ayant été souvent comparé par la critique, Stillman, logique, s’est décidé à adapter un roman de l’écrivain. Mais une œuvre de jeunesse peu connue au lieu d’un des chefs d’œuvre rebattus de l’écrivain anglais. Ce roman de 1794 étant épistolaire à l’origine, on peut y voir une parenté supplémentaire avec Les Liaisons dangereuses de Laclos, qu’il rappelle par endroits. On y retrouve le tandem de Last Days of Disco ; l’actrice principale, Kate Beckinsale, qui joue Lady Susan Vernon, jeune veuve intrigante se lançant à corps perdu à la chasse au mari ; et Chloë Sevigny, incarnant son amie américaine, Alicia Johnson, qui est un peu la Merteuil de l’histoire.
Conservant la verve acide de Damsels in distress, Stillman mêle dans un même souffle esprit libertin et effronterie, tout en mettant en scène la vie en Angleterre avec une précision sobre qui donne presque envie de le comparer à son compatriote Henry James.
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