Une impressionnante masse d’images d’archives sur les Doors, organisée par Tom DiCillo en un rigoureux biopic documentaire.
« Ray Manzarek a un jour défini ainsi la spécificité des Doors : de la grande poésie alliée à de la très bonne musique. Quand il a dit ça, moi je pensais “c’est aux auditeurs de dire éventuellement cela, pas à nous”. Et pour dégonfler cette phrase un peu prétentieuse, j’ai dit que ce qui mettait les Doors à part, c’est le jeu de batterie !”
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Ainsi parle John Densmore, batteur des Doors, donc. Sexagénaire californien à la cool, jeans, T-shirt, queue de cheval grisonnante et casquette de base-ball, Densmore s’essaie quand même à définir la magie spécifique des Doors et tombe finalement pas loin de Manzarek, en moins pompeux :
“La combinaison entre un type qui lisait beaucoup et adorait les mots, un type de Chicago qui aimait jouer du blues et du classique, un autre de Californie du Sud qui jouait du flamenco, et enfin un type qui avait vu Coltrane et idolâtrait les batteurs de jazz. Tout ça s’est mélangé, comme dans le melting pot, et ça a donné cette musique, un gumbo américain unique en son genre.”
Les Doors sont de retour, pour la énième fois.
Après les albums mixant la voix posthume de Morrison, après le gros film d’Oliver Stone, le groupe est aujourd’hui l’objet de When You’re Strange, un documentaire nerveux, émouvant, uniquement constitué d’images d’archives, dont certaines inédites.
Quand le New-Yorkais Tom DiCillo (Johnny Suede, ça tourne à Manhattan…) a été contacté par les producteurs pour réaliser ce doc sur le groupe angeleno, il n’a pas hésité longtemps :
“Non seulement ça m’intéressait, j’étais disponible, mais j’avais un concept : n’utiliser que des archives, ce qui permettait de faire un film ancré dans son époque. Ça a plu aux producteurs. Les archives étaient pour l’essentiel disponibles dans le fonds Doors, ce n’était pas compliqué de les réunir. Quand je les ai visionnées, je les ai trouvées merveilleuses, je ne voulais utiliser que ça. Pas besoin d’images contemporaines.”
DiCillo a eu là une excellente intuition. When You’re Strange est l’anti-The Doors d’Oliver Stone.
Là où la fiction stonienne était artificielle, boursouflée, réduisant le groupe à un scénario hollywoodien caricatural, le doc est authentique, musical, exsude le parfum particulier des années 60, rend compte de la puissance sulfureuse du groupe, fait descendre les Doors de leur nuage mythologique pour les ramener vers leur réalité de groupe de blues sexy et singulier.
Dans ces images arrachées aux limbes des sixties, on voit le groupe se rencontrer, en répète, à l’œuvre dans ses premiers concerts, en interview.
Il y a aussi de larges extraits d’Highway, road-movie à la Monte Hellman réalisé par Morrison, avec lui-même, et c’est troublant de voir le chanteur en pleine beauté et force de l’âge, dans des plans westerniens saturés de lumière.
Il y a encore une longue séquence consacrée à l’affaire du concert de Miami, au cours duquel Morrison fit semblant de se masturber sur scène, déclenchant les foudres de l’Amérique puritaine, un procès pour attentat à la pudeur et une interdiction de se produire sur scène.
En voyant la performance incriminée, on a du mal à comprendre : Iggy Pop ou Lux Interior ont fait depuis bien pire – ou plutôt bien mieux –, sans émouvoir le moindre juge.
Prenant avec joie et modestie son rôle de réalisateur-monteur, DiCillo a ordonné cette masse d’images pour raconter une histoire – ou plutôt trois (avec l’aide précieuse de Johnny Depp à la voix off) : celle du groupe, celle de Jim Morrison et celle des sixties.
On a beau les connaître par cœur, les histoires des Doors et de leur époque fouettent ici les sangs ; celle de Morrison bouleverse.
Comme Marilyn ou Brian Jones, Morrison était un ange fragile, un ado en rupture de ban avec sa famille, un Icare rapidement brûlé par le soleil qu’il a tutoyé trop vite, trop fort. Le voir ici passer en quelques années de la jeunesse radieuse à la déchéance physique et psychique puis à la mort serre le cœur.
Avec une belle franchise, John Densmore avoue qu’il ne tenait pas au départ à ce film :
“Ma réaction première, c’était “quoi ? encore les Doors ! Oh non !” Mais je suis content du résultat. Difficile de définir la magie de ce film. On voit le jeune et vrai Jim, ce qui vaut mieux que le Jim d’Oliver Stone. On sent aussi l’esprit des sixties, le parfum de l’époque.”
On pense alors à tous ceux qui ne goûtent pas les Doors, agacés par le culte du Père Lachaise, l’encombrante image de “poète” de Morrison ou le film de Stone. Ils se disent peut-être aussi “encore les Doors !”
When You’re Strange pourrait leur faire changer d’avis : on y voit un groupe de rock blues sexy et inventif, saisi live dans sa jeunesse et son jus de sixties.
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