Ancien animateur de télé provoc, le Britannique Chris Morris choisit de rire du terrorisme avec une virée absurde dans le quotidien de musulmans paumés.
Face caméra, un aspirant moudjahidin à l’accent british bafouille des menaces d’attentats contre “les infidèles” occidentaux. Le ton est agressif, assez sérieux pour inquiéter, mais un objet étrange vient perturber l’enregistrement de sa vidéo d’avertissement : il exhibe une arme factice, reproduction minuscule et en plastique des fusils de combat à l’usage des enfants.
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Ce problème de proportions, ce décalage entre une image de peur domestiquée (les vidéos islamistes en boucle dans les médias) et un élément absurde traduisent bien l’humour de We Are Four Lions, corrosif et iconoclaste.
Inédit aussi, si l’on s’en tient aux représentations du terrorisme dans le champ comique de l’après-11 Septembre (les faux kamikazes défoncés à l’herbe Harold et Kumar, l’alter ego palestinien de Zohan, etc.).
Jusqu’ici, c’est au burlesque frénétique et un peu dégénéré que la question du terrorisme était condamnée, réprimant au final l’hypothèse d’une critique sous les explosions d’houmous (Rien que pour vos cheveux). We Are Four Lions fait le pari inverse en croisant deux traditions typiquement britanniques : la satire ascendant absurde façon In the Loop et l’enquête journalistique.
Pour son premier long métrage, l’acteur-producteur-scénariste Chris Morris (intronisé “the most hated man in Britain” par le Sunday Times) renoue donc avec la méthode de ses émissions satiriques et reportages bidonnés déclinés dans les 90’s sur la BBC (The Day Today) ou Channel 4 (Brass Eye). Le film porte les stigmates de cet héritage télévisé : même économie de moyens et de mise en scène ; même impératif de rythme et rigueur narrative.
“Avant de réaliser We Are Four Lions, j’ai mené un travail de recherche de trois ans auprès des fondamentalistes, des imams, des experts en terrorisme et des services secrets, explique Chris Morris, de passage à Paris. Le constat était alarmant : le traitement médiatique de ces sujets est très limité, et souvent archétypal. Je voulais en savoir plus. De quoi parle-t-on ? Qui sont ces mecs capables de se faire sauter en plein centre de Londres ?”
Sur le mode du docu-fiction, ce premier film s’offre donc une virée aussi drôle qu’inquiétante dans le milieu de l’islamisme radical et un peu benêt de quatre misfits londoniens. Leur quotidien désœuvré, leur séjour en camp d’entraînement au Pakistan, la préparation chaotique d’un attentat pendant le marathon de Londres…
We Are Four Lions applique un masque loufoque sur la figure du terroriste – une sorte de Spinal Tap chez les barbus. “Il y a dans le fonctionnement des cellules terroristes une logique de groupe, la ‘bunch of guys’ theory. Entre eux, les fondamentalistes se donnent des surnoms, s’invectivent, se charrient comme le feraient des potes. C’est cette normalité derrière l’horreur qui me fascine”, précise le réalisateur.
La puissance du film réside justement dans ces moments de normalité saisis de manière presque documentaire, ces béances dans la farce où se révèle la vraie nature du mal. Les four lions lisent le Coran à l’envers, confondent jihad et petites rancœurs ou restent insensibles aux conseils des grands frères modérés. Bref, ils pataugent totalement. Mais au fond, suggère Chris Morris, dans la dynamique mortifère du terrorisme, “la bêtise dépasse l’idéologie”.
C’est l’une des vraies réussites de ce premier film, qui n’abandonne jamais son acuité à un humour grossièrement offensif, et n’offre aucun argument à l’islamophobie – les musulmans de We Are Four Lions ne sont pas les Américains de Borat. Et c’est aussi, peut-être, la véritable provocation de Chris Morris : donner un visage au terrorisme, qui n’agit plus ici comme simple concept ou repoussoir médiatique.
“Par souci d’efficacité, d’audience, ou bien pour d’autres raisons, les médias omettent toute la partie humaine du terrorisme, celle qui a le plus de sens pourtant, celle qu’il faut montrer, expliquer”, explique-t-il. C’est sous la lumière que les obscurantistes sont le plus ridicules.
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