Le salut de l’humanité lobotomisée passera-t-il par ses robots ?
Un conte effrontément critique du consumérisme moderne, signé Pixar.
Monstres & Cie (2002) et Le Monde de Nemo (2003) semblaient, pour un temps au moins, avoir posé d’indépassables jalons dans le domaine de l’animation numérique. On pensait le studio Pixar depuis assagi, rentré définitivement dans le giron Disney, capable de livrer des œuvres extrêmement plaisantes (Cars, Ratatouille) mais loin de ses précédentes cimes théoriques et plastiques. Andrew Stanton vient nous prouver le contraire avec Wall-E, nouveau sommet et coup de semonce dans le monde ramolli des pixels.
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Les années 2000 nous ont habitués à l’imagerie de la métropole déserte (A.I., 28 jours après, Je suis une légende et même Seuls Two !), cauchemar d’une humanité qui se sait au bord du gouffre et remplaçable par d’autres entités. Les trente premières minutes de Wall-E, presque muettes, les plus belles du film, se déroulent ainsi dans une ville vide, décharge à ciel ouvert peuplée d’un seul et unique robot qui passe ses journées à entasser des compressions d’ordures – imaginez New York redessinée par le sculpteur César.
Jusqu’à l’arrivée d’un robot iPod (tout blanc tout lisse), à la féminité évidente (Eve), courtisé par le déglingué Wall-E qui n’a jamais rien vu de tel. C’est alors toute la mémoire cinéphilique du pouilleux et de la princesse, de Chaplin à Keaton, qui se voit convoquée, prouvant à nouveau le talent de Pixar pour recycler les codes hollywoodiens sans tomber dans la parodie (ce serait plutôt l’apanage de Dreamworks).
Mais la vraie surprise de Wall-E provient du ton adopté et du message sous-jacent. Le film d’Andrew Stanton, surtout dans sa première partie, est extrêmement sombre, obsédé par le vide, la destruction (explosions, rouille et apocalypse), souvent inquiet sous ses coutures comiques. Les executives de Disney se seraient-ils eux aussi laissé gagner par le catastrophisme d’Al Gore ? La droite américaine, en appelant au boycott du film et des produits dérivés, ne s’y est pas trompé : Wall-E est probablement le film le plus subversif jamais produit par le studio, d’habitude si modéré, e-cuménisme oblige.
La grande idée de Stanton est en effet de figurer l’humanité, ou plutôt ce qu’il en reste, comme une colonie de poupons bodysnatchés, les yeux rivés sur des écrans de télé, les jambes coupées par l’inactivité et l’obésité, le cerveau ramolli par un consumérisme roi, en apesanteur dans un parc d’attraction stellaire ressemblant comme deux gouttes d’eau à… Disneyland ! Une autre belle trouvaille est de montrer de temps à autre les humains du passé, ceux d’avant le cataclysme, sans recourir aux images de synthèse – en images réelles donc, une première pour Pixar.
Pour Stanton, l’espèce humaine en est donc là, perdant pied avec le réel à mesure que se rapproche la catastrophe. Ce sont les robots qui lui donnent une leçon d’humanité et de révolte, culminant lors d’une longue scène de danse en apesanteur, quelque part entre Kubrick (2001) et Gene Kelly (Hello Dolly, plusieurs fois cité). On ne sait pas où nous emmèneront dans le futur les magiciens de Pixar, mais on est prêt à les y suivre, le cerveau en éveil et les yeux grands ouverts.
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