Dans Walk the walk, Robert Kramer ausculte le monde comme un scientifique et en délimite les points noirs. Walk the walk est l’histoire d’une famille : Abel, le père, Nellie, la mère et Raye, la fille, chanteuse classique. Elle arrive à un âge où son désir est de quitter le foyer et de se chercher […]
Dans Walk the walk, Robert Kramer ausculte le monde comme un scientifique et en délimite les points noirs.
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Walk the walk est l’histoire d’une famille : Abel, le père, Nellie, la mère et Raye, la fille, chanteuse classique. Elle arrive à un âge où son désir est de quitter le foyer et de se chercher une autre famille, celle du monde de la musique. Son départ provoque celui du père, qui est « au milieu du chemin de sa vie », comme le personnage de Dante. Abel se doit de voir ailleurs ce qui s’y passe pour mieux comprendre où il se situe. Nellie ne va nulle part. Son chemin est plus un déplacement mental elle est souvent au bord de la rupture psychologique que physique.
Nous ne sommes ni dans un documentaire ni dans une fiction, et pourtant Kramer nous parle plus du monde tel qu’il est que n’importe quel film de genre. Walk the walk est un film de genre humain. Il y a plusieurs couches dans ce film à l’image de la mère qui soulève des nappes de mousses marines pour prélever un échantillon sous l’écorce, Kramer filme sous la surface de la peau. Dans Milestones et Ice, le personnage était la communauté politique elle-même. Pour Route One, Doc était une sorte de double romantique de Robert Kramer et le personnage de Point de départ était un pays, le Vietnam. Walk the walk, c’est l’auteur qui se démultiplie en trois personnes : « je » est les autres. La famille explose et chaque noyau part à travers le monde se (re)constituer une identité et développer une autre communauté. Walk the walk, c’est la communauté qui va. Le film parle des petites histoires de la vie, celles qui nous habitent, et de leur manière d’ausculter la grande Histoire, celle qui nous gouverne. C’est peut-être pour cela que les personnages sont si terriens, si solidement ancrés dans le sol. Parce que si l’on a quelque chose à régler avec le monde, ça passe d’abord par sa propre chair : la terre. Dans Route One, c’est le doigt de Doc qui montrait le chemin à suivre en glissant sur la carte. Dans Walk the walk, lorsque la jeune fille se coupe le doigt, c’est encore le corps qui indique la voie à suivre la coupure comme annonciatrice de la fissure familiale.
Kramer parle de ce que l’on voit, la coupure, mais que l’on ne sent pas encore, la douleur. Cette même douleur guide les pas du père à Odessa. Il poursuit sa quête identitaire dans un pays dont il ne connaît même pas la langue. Il ne lui reste que le langage de la matière pour baliser ce que les mots ne peuvent communiquer. Rien de mieux que le mouvement du corps pour animer le travail de la pensée. Chez Kramer, le déplacement se fait souvent à pied. Chacun effectue sa propre révolution, comme le soleil autour de la terre. La mère reste dans le même lieu, la fille marche et le père court : trois actions physiques. La fuite en avant des corps est comme ces lignes de fuite du cadre de Kramer, des plans très serrés mais avec souvent un obstacle, une ligne qui accroche l’œil, comme le début d’une résistance au regard convenu que l’on pourrait porter sur le monde. Le cadre semble partagé entre deux choix, comme si une image de Kramer était constituée de deux moitiés, avec l’idée qu’on est toujours pris entre deux choses, entre deux lieux, donc que l’on reste en mouvement. Comme on dit d’un « tissu » scientifique qu’il grouille de vie, de cellules, le plan grouille de lignes.
Walk the walk est avant tout une œuvre qui cherche à voir où on en est dans notre rapport au monde (le sida, les guerres, etc.) et comment on peut commencer à endiguer ces formes qui explosent toute idée de communauté. Chacun s’essaie au monde comme on porte un vêtement neuf : on touche l’étoffe mais on n’en délimite pas encore les coutures.
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