Souleymane Cissé est potentiellement le plus grand cinéaste africain. Potentiellement. Car en dépit des dithyrambes et hyperboles qui ont fleuri çà et là autour de son dernier film, Waati, confondant regard critique et bonne conscience, on est obligé d’avouer sa déception. En effet, au lieu d’une épopée mystique, d’une fable cosmique dans la veine de […]
Souleymane Cissé est potentiellement le plus grand cinéaste africain. Potentiellement. Car en dépit des dithyrambes et hyperboles qui ont fleuri çà et là autour de son dernier film, Waati, confondant regard critique et bonne conscience, on est obligé d’avouer sa déception. En effet, au lieu d’une épopée mystique, d’une fable cosmique dans la veine de Yeelen (1987), que voit-on ? Une oeuvre qui reprend les antiennes bien pensantes de notre société médiatique. Un film de Noir pour Blancs. Qui commence pourtant avec une superbe entrée matière: des images de l’aube de l’humanité; territoires vierges, déserts ravinés, mordorés par un soleil naissant, qu’une caméra-oiseau vient frôler. Puis, après une fable esquissée dans la foulée par une grand-mère conteuse, on passe rapidement au pensum : l’illustration appliquée du phénomène de l’apartheid. Mais le film aurait eu un tout autre impact s’il avait été tourné pendant l’apartheid et non après. De toute façon le problème n’est pas là: ce qui gêne, c’est le style de cette partie pédagogique, très pro mais tellement impersonnel qu’il laisse pantois. On assiste donc aux vicissitudes de Nandi (la superbe Linéo Kefuoe Tsolo) et de sa famille, serfs d’un fermier blanc qui les traite comme du bétail. Puis, après l’assassinat de ses proches par les Blancs, Nandi parvient à fuir son pays. Sans transition, elle se retrouve en Côte-d’Ivoire dans une université ultramoderne. L’apartheid, le drame familial, la pauvreté sont évacués d’un revers de main: nous sommes dans un autre film. Nandi mène une vie confortable, passe une thèse en civilisation africaine, flirte et fait du tourisme.
Après une première partie rythmée, à l’américaine, le temps se distend soudain et le film se décompose en tableaux disjoints: Nandi étudiante, une fête reggae, un spectacle de masques (qui illustre la thèse de Nandi)… Puis on repart sur un thème d’actualité : le secours humanitaire. Dans le désert, l’ex-victime, Nandi, sauve de la mort une petite Touareg orpheline. La fin du film, toujours édifiante, montre le retour brutal en Afrique du Sud où Nandi constate que le racisme persiste après l’apartheid.
On comprend que Cissé avait l’intention de résumer toute la condition africaine dans un seul film, avec en prime un regard éclairé sur la Femme. C’est très généreux de sa part, mais seule la beauté naturelle des acteurs et du continent font passer l’aspect didactique de la pilule. Tant sur le plan du récit que du montage, on a le sentiment que cette oeuvre hétérogène est la résultante de compromis et que le produit fini n’est pas à la hauteur des (trop grandes) ambitions du cinéaste qui aurait sans doute aimé composer une oeuvre plus ample. Il ne semble en subsister que des fragments, plusieurs embryons de films. Voir par exemple la plus belle idée de Waati, le pouvoir magique de l’héroïne sur les animaux, qui n’est que suggéré alors qu’il aurait pu être le cœur du film. Cissé a donc présumé de ses forces. On espère qu’il redeviendra vite le chantre de l’Afrique mythique.
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