Voyage au bout de l’enfer, chef-d’oeuvre splendidement tiraillé entre la dimension mythique de l’Amérique et sa décomposition. Né trop tard pour filmer les mythes fondateurs de l’Amérique (La Porte du paradis sera sa version masochiste de la « naissance d’une nation » bâtie sur des ethnocides), Cimino met en scène dans Voyage au bout de l’enfer la […]
Voyage au bout de l’enfer, chef-d’oeuvre splendidement tiraillé entre la dimension mythique de l’Amérique et sa décomposition.
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Né trop tard pour filmer les mythes fondateurs de l’Amérique (La Porte du paradis sera sa version masochiste de la « naissance d’une nation » bâtie sur des ethnocides), Cimino met en scène dans Voyage au bout de l’enfer la fin de son innocence, soit la guerre du Vietnam qui vient violer l’autarcie d’une communauté d’ouvriers d’origine russe dans une triste bourgade de Pennsylvanie, cernée par des paysages de montagnes grandioses. A l’heure de la démystification, un an avant Apocalypse now qui envisage le Vietnam comme un trip, Cimino veut au contraire retrouver la dimension mythique de l’Amérique.
La construction du film, aussi somptueuse qu’audacieuse, est comparable à celle d’un gigantesque opéra. Se succèdent trois parties d’inégales longueurs, avec des rimes et des correspondances toutes musicales : la première relate les derniers moments passés par trois amis avant leur départ pour la guerre. Elle est composée d’une succession de rites ancestraux : le travail dans les aciéries, la cérémonie de mariage orthodoxe et le bal, la partie de chasse… Ces scènes sont étirées au point d’atteindre une dimension fantastique. Lors de l’épisode vietnamien, très concentré, les trois amis sont prisonniers de Viet-congs qui leur font subir le supplice de la roulette russe. Insoutenable, il s’agit d’une allégorie contestable du conflit vietnamien, du « suicide d’une nation » (dixit Cimino). La roulette russe, qui réapparaît dans la déchirante partie finale, celle de la tentative douloureuse de reconstitution du groupe, est un rite maléfique filmé en contrepoint de ceux du début chargés d’une valeur dionysiaque et rappelle le désir abandonné par Michael de tuer le cerf d’une seule balle. Car derrière un titre français ronflant se cache The Deer Hunter, « Le Chasseur de cerf », qui désigne le personnage principal, véritable héros d’une chanson de geste (et projection fantasmatique du cinéaste, qui s’identifie avec ce perfectionniste rêveur, ce seigneur prolétaire), chef charismatique (tandis que Cimino restera le grand cinéaste solitaire de sa génération, le mégalomane réduit à l’impuissance et au silence) dont le talon d’Achille est une passivité maladive avec les femmes. La plus belle épopée intimiste du cinéma américain moderne et, pour aller vite, un chef-d’oeuvre absolu, entre Walsh et Visconti.
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