Voyage à Tokyo d’Ozu et Voyage en Italie de Rossellini, soris à un an d’intervalle au début des années 50, retrouvent ensemble le chemin des salles. Deux manifestes discrets de la modernité cinématographique.
Voulez-vous voyager dans le cinéma moderne ?
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Les hasards de la distribution proposent cette semaine deux billets avec embarquement immédiat. Par ordre d’apparition sur les écrans, on commencera par Tokyo. Un couple de retraités quitte sa ville de province pour rendre visite à ses enfants établis dans la grande métropole.
Tout ne baigne pas dans le bonheur et l’harmonie au sein des familles pressurisées par le “miracle économique” japonais de l’après-guerre. Fils et fille sont occupés par leur travail et leurs propres enfants. Tournés vers le présent et l’avenir, ils n’ont pas le temps, ni peut-être le désir, de s’occuper de leurs vieux parents.
Mélo en sourdine antifamilialiste, Voyage à Tokyo serait-il un éloge réactionnaire de la vieillesse ? Non, parce qu’Ozu ne filme pas sur un ton dénonciateur, revendicatif ou définitif. Sa modernité (ou sa nipponité ?) réside dans sa délicatesse de style, un mélange de douceur et d’acuité qui respecte chaque personnage dans toutes ses raisons.
Ainsi, la génération des quadras semble froide, matérialiste, mais Ozu leur accorde aussi du temps pour que l’on comprenne leur situation. Parmi eux, la bru, veuve d’un autre fils décédé du vieux couple, se montre attentionnée, parce qu’elle a plus de temps disponible : ce personnage atteste que le cinéaste ne condamne pas une génération. Plutôt que l’essence des êtres, Ozu dénonce (à voix feutrée) le contexte socio-économique du Japon, qui modèle les gens et déchire l’ancien modèle familial. Empreint d’un certain fatalisme, Voyage à Tokyo saisit avec finesse la solitude de la vieillesse mais semble l’inclure dans un cycle inhérent à l’existence.
Après l’implosion de la famille, celle du couple. Réalisé un an après le Ozu, Voyage en Italie documente la lente et inexorable séparation entre Katherine et Alexander, joués par les immenses Ingrid Bergman et George Sanders, aussi géniaux sous le regard acéré et dépouillé de Rossellini que sous les ors hollywoodiens. On dit souvent à un couple qui bat de l’aile qu’il devrait faire un voyage pour se ressourcer. Sous la caméra impassible de Rossellini, le voyage est ici au contraire le révélateur (y compris au sens photographique du terme) de l’agonie d’un amour.
Laconique, minimal en dialogues, comportementaliste, refusant le psychologisme et les habituelles péripéties d’une fiction classique, Voyage en Italie est un film de l’intériorité, du non-dicible. Voir la scène bouleversante où Katherine prend conscience de la faillite de son couple en découvrant le fossile d’un couple de Pompéi enlacé depuis des siècles : il faut un tiers “révélateur” pour qu’un couple ne résiste plus à la pleine compréhension de ce qui se passe en lui.
Film en partie autobiographique (Bergman était Mme Rossellini), le plus antonionien de Rossellini (sauf en ce qui concerne le “miracle” de la fin), Voyage en Italie était sorti dans une relative indifférence, seulement défendu (avec fougue) par Rivette et Truffaut. Aujourd’hui, ce film est l’un des plus éclatants fleurons de la modernité cinématographique.
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