L’ambitieux “Bullet Train” de David Leitch sort ce mercredi sur les écrans. L’occasion de revenir sur cet art qu’est la scène d’action avec un top 12 de ses meilleures représentantes que nous a offertes le XXIe siècle.
12 – Le taxi dans J’ai rencontré le Diable de Kim Jee-woon (2011)
Lorsque Kyung-chul, interprété par un monstrueux Choi Min-sik, monte couvert de sang dans le taxi occupé par ces deux inconnus, nous savons déjà de quoi il est capable, autant en matière de charme que d’abomination. Si cette séquence de double meurtre, d’une barbarie inouïe, marque autant, ce n’est pas uniquement grâce à cette virtuosité de la mort dont fait preuve Kim Jee-woon tout le film durant. C’est aussi et surtout parce que ce dernier a la cruelle générosité de ne pas arrêter la voiture avant un certain temps, partageant ainsi avec nous son goût pour la violence qui dure. L’attente qui précède la scène et la satisfaction qui la suit partagent cette morbidité cathartique inhérente à notre condition de spectateur.
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11 – Les escaliers dans Atomic Blonde de David Leitch (2017)
Pour son premier film réalisé seul, David Leitch s’impose comme l’un des nouveaux grands noms de la cascade hollywoodienne. Son vertigineux plan-séquence de 10 minutes, où Charlize Theron écrit tout un pan de sa légende, est de ces moments de cinéma d’action qui tutoient l’immersion procurée par un jeu-vidéo : le personnage indestructible malgré les centaines de coups qu’iel reçoit (on ne fait qu’imaginer une jauge de vie et de vigueur à Charlize Theron durant tout le film), la récupération de munitions sur les cadavres qu’iel laisse derrière lui, l’action qui se poursuit dehors au moyen d’une course-poursuite en bagnole… Ces moments d’extase qui donnent au spectateur la sensation de contrôler le film.
10 – Les motos dans Mission Impossible : Rogue Nation de Christopher McQuarrie (2015)
Alors qu’en moto, l’insaisissable Ilsa (Rebecca Ferguson) s’enfuit une nouvelle fois, une demi-douzaine de tueurs suréquipés du Syndicats se lancent à sa poursuite sur des véhiculent semblables. Tom Cruise/Ethan Hunt, lui, est en chemisette rouge, sans casque et manque plusieurs fois de se désintégrer les genoux dans les virages serrés, à mesure qu’il se débarrasse un à un des apôtres du crime. Ce moment, huntien devant l’éternel, figure parmi les courses-poursuites les plus jouissives du cinéma contemporain car non seulement il porte en lui la force de mise en scène de Christopher McQuarrie, mais aussi parce qu’il donne, par courtes intermittences, une idée de ce que cela doit être d’être Tom Cruise.
9 – Le pont dans La Guerre des Mondes de Steven Spielberg (2005)
Restons encore un peu aux côtés de Tom Cruise pour un autre de ses plus grands films. Lorsque les Tripodes aliens surgissent des profondeurs de la Terre, leur puissance de feu donne lieu à l’une des scènes de panique les plus impressionnantes et viscérales de ce début de siècle. Effrayée, la petite Rachel (Dakota Fanning) demande à son père s’il s’agit des terroristes alors que celui-ci démarre la voiture à toute vitesse et qu’un immense pont est pulvérisé en arrière-plan, faisant s’envoler un camion citerne qui vient ensuite s’écraser sur une maison avant d’exploser. La séquence firmamentale de l’un des plus grands blockbusters post-11 septembre.
8 – Le train dans Spider-Man 2 de Sam Raimi (2004)
Cruel paradoxe que de s’apercevoir devant Doctor Strange in the Multiverse of Madness combien une certaine idée du cinéma de super-héros, embrassée par Sam Raimi dans sa trilogie Spider-Man, manque désormais terriblement à Marvel. Un super-héros qui serait ancré dans le palpable de la réalité et non pas d’une réalité parmi les autres peuplant le multivers. Revoir une séquence d’action comme celle du train dans Spider-Man 2, qui fait toujours figure de sommet super-héroïque indépassable 20 ans après, c’est recontempler le temps où les corps et les décors faisaient partie de l’équation Marvel. On a mal pour le talon et le genou de Peter. On a mal pour ses biceps. Et par-dessus tout, on a mal de le voir être démasqué, et ainsi soudainement confronté à son absolue solitude.
7 – Les escaliers dans Time and Tide de Tsui Hark (2001)
Quasiment toutes les scènes d’action de Time and Tide sont construites de façon aussi verticale qu’horizontale, mais la plus représentative d’entre elles arrive aux deux tiers du films, quand la caméra follement virevoltante de Tsui Hark tente de suivre la fuite ultra rapide de l’acrobatique Tyler (Wu Bai). Le cinéaste se sert des hauteurs des bâtiments de Hong Kong, de leurs escaliers et de tous les puits, intérieurs comme extérieurs, qu’ils dessinent entre eux pour repenser continuellement ses motifs de mise en scène, donnant le sentiment d’une action qui se réinvente en permanence. S’ajoute à cela le charme unique de ce mixage sonore, qui décuple le bruit que fait chaque pas, chaque empoignement d’arme, chaque morceau de verre brisé.
6 – Le nouvel an dans Snowpiercer de Bong Joon-ho (2013)
Microcosme de ce que fut autrefois l’Humanité, le train avance, ou erre sans but, à travers une Terre dévastée par une nouvelle glaciation. Alors que les troupes de Curtis (Chris Evans) cherchent à remonter l’arche de métal wagon après wagon pour se libérer de l’oppression, ils sont arrêtés en chemin par la milice armée à laquelle la tête de train demande de mater la révolte. Mais la sanglante bataille est interrompue par une soudaine célébration du nouvel an : les passagers sans destination tentent de garder ce qui leur reste d’humanité. Quelques secondes plus tard, la joie d’un instant s’estompe, la guerre peut reprendre, le train-monde continue de tourner, tout en pulvérisant les blocs de glace sur son chemin. Spectaculaire, métaphysique et bouleversante, cette séquence est parmi les plus marquantes de l’immense carrière de Bong Joon-ho. Et il y en a.
5 – Le chantier dans Casino Royale de Martin Campbell (2006)
La scène qui réinventa James Bond. Du sol d’un chantier aux hauteurs vertigineuses de sa grue, un malfrat échappe à 007 en se faufilant façon Yamakasi partout il le peut. Son agilité lui permet de passer facilement au travers d’une étroite fenêtre intérieure ; James Bond, lui, défonce carrément la cloison en la traversant comme si c’eût été du papier. Un moment brillant, aussi drôle qu’astucieux : l’agent séducteur du MI6 est désormais un tueur froid, un chien enragé n’ayant aucune forme de limite, interprété par un Daniel Craig impressionnant de puissance. L’explosion de l’ambassade en fin de scène, d’une gratuité jubilatoire, résonne aujourd’hui comme le coup de canon des 15 ans de l’ère Craig.
4 – La prison dans The Raid 2 de Gareth Evans (2011)
Le premier The Raid fut une détonation, sa suite est une déflagration. Se faisant volontairement jeter dans la pire prison de Jakarta dans le but de gagner la confiance d’Uco, le fils du plus puissant parrain de la ville, Rama (extraordinaire Iko Uwais) plonge dans un monde carcéral qui ne connaît pas la pitié. Sous la pluie, dans la boue et le sang, une bagarre générale éclate et donne lieu à l’un des plans-séquence les plus violents et virtuoses du XXIe siècle. Génie de la chorégraphie, fin connaisseur des art martiaux et particulièrement du Pencak Silat (art martial indonésien) au centre du dyptique The Raid, Gareth Evans confirme ici le coup de poker du premier film en l’enterrant dans la gadoue et en redéfinissant ce qu’on appelle communément une scène de combat.
3 – L’opéra dans Tenet de Christopher Nolan (2020)
C’est un euphémisme que de dire que Tenet n’a pas fait l’unanimité. Si aux Inrocks nous n’avons pas été pleinement convaincus par le dernier labyrinthe de Christopher Nolan, la perfection de sa séquence introductive nous impressionne. En parfaite symbiose avec la folle partition techno de Ludwig Göransson, la mise en scène de Nolan trouve dans l’opéra de Kiev l’un de ses sommets les plus immersifs et galvanisants. L’excitation paroxysmique que procure cette scène vient du fait que nous découvrons le lieu et les enjeux du film à travers les yeux du Protagoniste masqué. Comme si dans un moment d’inattention orchestré par Nolan, un casque de réalité virtuelle nous avait été discrètement procuré.
2 – L’autoroute dans Matrix Reloaded de Lana et Lily Wachowski (2003)
Réflexion sur le réel et sur la fiction, Matrix premier du nom fut le film-rupture qui a posé les fondations du blockbuster hollywoodien pour le XXIe siècle. Quatre ans plus tard, cette scène de Reloaded en a défini le sommet. Séquence d’action totale, où se rencontrent au sein d’une même science-fiction métaphysique aussi bien le western, le film de sabre, de kung-fu, de cape et d’épée et même de super-héros, la course poursuite entre Trinity, Morpheus, et les troupes du Mérovingien fait figure de monument du genre. Et les sœurs Wachowski de prêtresses sur l’autel du spectaculaire.
1 – Mad Max : Fury Road de George Miller (2015)
Si vous nous demandiez quelle scène, nous vous répondrions le film : celui-ci est construit dans son entièreté comme une seule et unique course-poursuite, dont la succession entre les différents mouvements est filmée en quasi temps réel. La meilleure scène d’action de Mad Max : Fury Road, c’est Mad Max : Fury Road. Ce film fait ce que font tous les autres films d’action, mais mieux. Plus vite, plus fort, plus grand, plus fun, plus fou. Plus tout. Loin de tous ces longs et barbants dialogues qui quelque part ne font que gêner l’action, dans Mad Max : Fury Road, c’est la mise en scène de George Miller qui raconte. La force évocatrice du langage cinématographique est ici au firmament : les plans sont des phrases que ponctue le montage. De ses premières secondes, où Max l’animal dévore vivant l’un des congénères sauriens dont l’espèce fut modifiée par l’apocalypse nucléaire, à ses derniers instants, terrassants d’évocation, où deux êtres humains voient chacun en l’autre son humanité perdue, cette scène dantesque de deux heures qu’est Fury Road déploie sa silencieuse suprématie. En monarque incontestable de l’action contemporaine.
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