La star de la nouvelle génération, celle que l’on voit aussi bien dans les films d’auteur que dans les grosses productions internationales. Mais au-delà des paillettes, Virginie Ledoyen est une jeune femme simple, qui désire avant tout exercer dignement son métier d’actrice.
Quel est le trait de caractère le plus important pour réussir dans ce métier ?
La volonté. Parce qu’il y a beaucoup de bons acteurs. Au-delà du talent de chacun, l’envie farouche d’interpréter un personnage est essentielle. Si c’est impossible d’imposer son désir à un cinéaste, ou de susciter son désir s’il n’a pas envie de toi, tu peux montrer à quel point tu as envie d’être le personnage. Par exemple, le casting pour L’Eau froide avait été très laborieux, et je crois qu’Olivier Assayas a senti à quel point c’était important pour moi de travailler avec lui et d’avoir ce rôle. A l’inverse, un metteur en scène peut parvenir à te convaincre de faire son film, malgré tes doutes, quand son envie s’impose à toi. Pour que quelqu’un te filme pendant deux mois, il faut qu’il y ait forcément un état amoureux, une séduction réciproque entre le cinéaste et le comédien, un désir mutuel, ce qui ne veut pas dire des relations amoureuses. Il faut une alchimie, ou alors c’est un travail de commande. Pour La Plage, ma première rencontre avec Danny Boyle s’est très bien passée, dans le cadre un peu stressant d’un casting international, mais j’ai su plus tard qu’il avait vu une photo de moi et qu’il avait décidé que Françoise, c’était moi Son désir était donc déjà là, avant même de me rencontrer, même s’il ne me l’a pas dit. Lors d’un casting, rien ne t’est jamais dû. A part le film d’Edward Yang (Mahjong, qui n’est jamais sorti en France), De l’amour, le film de Jean-François Richet, est le premier film qui ait été vraiment écrit pour moi. Je l’avais rencontré il y a six ans, dans un avion, lors d’un voyage Unifrance, et j’étais allé le brancher, chose que je ne fais jamais, pour lui dire à quel point j’avais aimé Etat des lieux, que j’avais vu deux jours avant. Je crois que ça l’avait d’autant plus touché qu’il devait un peu se demander ce qu’il faisait là, au sein de cette délégation française qui partait pour le festival de Sarasota. Ensuite, il m’a demandé de faire « la chinoise » du générique de Ma 6-t va crak-er, et il me dit que son prochain film sera inspiré d’un fait-divers, l’histoire d’une fille qui s’est fait violer dans un commissariat, et qu’il aimerait bien qu’on le fasse ensemble. Il l’a écrit en pensant à moi, mais c’était une envie mutuelle au départ.
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Avez-vous fait des choix que vous avez regrettés ?
Non, honnêtement non. Même si Héroïnes est un film raté, j’avais vachement envie d’aller vers autre chose que les films d’auteurs que je venais d’enchaîner : L’Eau froide, les deux films avec Benoît Jacquot (La Fille seule, La Vie de Marianne), Mahjong, La Cérémonie. J’avais envie d’aller voir ailleurs, pour savoir si je pouvais faire autre chose que m’insérer dans des grilles d’auteurs aussi imposants. Mais c’est vrai qu’En plein c’ur, le film de Pierre Jolivet, j’ai tendance à le zapper. C’était la première fois que j’étais sur un film avant même qu’il y ait un metteur en scène. La production m’avait proposé le scénario de ce remake d’En cas de malheur, où je reprenais le rôle de Bardot, et je n’étais pas emballée : un scénario sans cinéaste, alors que pour moi le scénario n’est qu’un document de travail, et puis cette histoire d’une fille de vingt ans qui est avec un mec de quarante-cinq, comme si c’était encore si choquant aujourd’hui J’étais un peu stupéfaite Jusqu’à ce que je rencontre Jolivet, qui reprenait le projet, et j’ai accepté à cause de lui, et puis j’avais envie de tourner avec Lanvin. Ça a été une expérience à part, mais je ne la regrette pas, même si ce n’était pas vraiment un film de Pierre
Y a-t-il des refus que vous regrettez ?
Ce qui me donne envie ou pas, c’est le metteur en scène, parce que la relation entre une comédienne et un cinéaste est un échange qui est de l’ordre du don. Quand tu tournes, ça doit être une évidence que ce ne pouvait être que toi le vecteur entre ce cinéaste et son public. Par exemple, Ferrara est un cinéaste passionnant, mais je ne me voyais pas du tout, à ce moment de ma vie, faire New Rose Hotel. Le film est bien, c’était un beau rôle, mais il est bien parce qu’Asia Argento est formidable. Moi, je ne me voyais pas pendant quatre mois à New York, seule, avec un type comme Ferrara avec qui c’est sans cesse tout l’un ou tout l’autre. Je tenais à me préserver une certaine santé mentale et n’avais pas envie de vivre dans la peur qu’il me dise que j’étais nulle si je déviais un peu de ce qu’il voulait. J’étais toute fière d’aller rencontrer Ferrara mais j’ai senti que je n’avais pas ma place dans le film, que je ne le comprenais pas, lui Ferrara, et que je ne voyais pas bien ce qu’il voulait. Dans ces cas-là, mieux vaut ne pas se forcer
Quelle est ta palette de choix ? Large ou réduite ?
C’est assez large, et ça vient de gens très différents, pas forcément des « auteurs » d’ailleurs, mais c’est assez équilibré entre des auteurs purs et durs et un cinéma plus « industriel », parfois de « grosses machines » françaises. Par exemple, les femmes ne me proposent jamais de films, ça me surprend, alors que mon premier film était Mima de Philomène Esposito et qu’il y a des cinéastes avec lesquelles j’aurais envie de tourner. Mais la palette de choix, ça dépend des moments, il y a toujours un effet boomerang, ça dépend du film qui sort. Après La Plage, il y a eu un effet La Plage dans ce qu’on me proposait, des films américains qui ne me passionnaient pas. Mais si j’ai envie de faire des choses très différentes, de bouger dans le paysage, je n’ai pas non plus envie de faire du contre-pied ou du contre-emploi systématiques, je m’en fous, ça m’ennuie et je ne pense pas à ça. Si tu n’as pas qu’un emploi, tu n’en as pas trois milliards non plus, et je ne vais pas jouer les caméléons, me grimer, pour essayer de faire oublier mes rôles précédents et que c’est bien moi. De toute façon, c’est toujours toi. Quand Deneuve ou Huppert font un film, c’est elles, et ce n’est rien leur enlever que de dire ça.
Avez-vous déjà eu le sentiment de faire un compromis ?
Quand La Plage est sorti, j’étais constamment attaquée. On me reprochait d’avoir vendu mon âme au Diable, de m’être fait acheter par les américains. Que le film ne plaise pas ou que je ne plaise pas dans le film, d’accord, mais c’était difficile d’expliquer ce qu’est le métier d’acteur, et de devoir se justifier sans cesse, comme si tu n’avais pas le droit de passer de Jacquot à La Plage, sans même parler de L’Oréal ! On me reprochait de ne pas être restée dans mon emploi, dans ma case. Vouloir en sortir devenait un problème moral ! Alors que moi je n’avais aucun problème ! Sinon hésiter entre envoyer chier tout le monde, ce que tu finis pas quand même par faire parce que tu en as marre au bout d’un moment, et se dire qu’un metteur en scène avec lequel tu as envie de tourner ne pensera plus à toi parce qu’on raconte partout que tu t’es vendue Ça, c’est embêtant. Aujourd’hui, je suis sûre qu’un cinéaste qui a vraiment envie de te filmer se fout de ce genre de choses mais à l’époque, j’ai eu peur, peur de ce que les autres allaient penser, peur du « quand dira-t-on ? » qui risque de te fermer des portes. J’ai toujours eu envie de travailler avec des cinéastes étrangers : faire le film de Yang participait de la même dynamique que faire La Plage, même si ce n’était évidemment pas la même chose. Mais je ne me suis jamais dit que La Plage était la consécration ou le début d’une « grande carrière internationale », d’ailleurs je n’ai plus fait de films américains depuis, même si j’ai toujours envie de tourner avec des cinéastes étrangers, mais pas du tout a contrario des français. Le métier d’acteur est très fragmenté. Entre le film de Richet et celui d’Ozon que je vais commencer, je suis resté un an sans tourner. C’est une période d’attente mais pas d’angoisse, même si tu te demandes toujours ce que tu vas faire après, surtout si les scénarios que tu lis ne te plaisent pas, si tu vois des films qui t’intéressent et qui se font sans toi parce qu’on ne te les a pas proposés. Mais tourner tout le temps n’est pas un but, je n’ai pas la boulimie du travail pour combler les temps morts, mais cinq films sublimes à la suite, d’accord !
Vous avez hésité avant d’accepter de faire de la publicité pour L’Oréal ?
Bien sûr. Je n’avais jamais envisagé de faire de la publicité, parce que je pensais que ce n’était pas bien. Du coup, quand je suis allé au rendez-vous pour L’Oréal, six ou sept mois avant de faire La Plage, je n’étais pas en demande, puisque je n’étais même pas sûre de vouloir faire de la publicité. J’étais très dubitative, jusqu’à ce qu’ils m’expliquent que c’est seulement quinze jours par an ! Ça me permet d’être très libre financièrement, c’est un luxe qui m’autorise à choisir les films que je veux faire et à éventuellement accepter de les faire pour moins d’argent, même si c’est toujours beaucoup par rapport à plein de gens qui travaillent, évidemment. Je suis contente de mon travail pour L’Oréal, je ne me sens pas dénaturée, et c’est assez ludique de se promener dans cet univers. Même si je ne le ferais pas à plein temps toute l’année.
Votre intégrité n’en souffre pas ?
Non. Et puis mon intégrité ne se situe pas par rapport à ça. Je trouve que gagner de l’argent avec l’Oréal n’est ni malhonnête ni déshonorant. C’est une représentation de moi-même où je vends un produit plus qu’un personnage. Je ne me reconnais pas dans les pubs L’Oréal mais de toute façon, je ne me reconnais pas non plus dans les films, où on ne se voit jamais de dos, où on se retrouve mince alors qu’on se croit grosse. C’est bien toi pourtant, mais cette représentation est assez choquante, puisque tu ne sais pas comment tu es quand tu ris, quand tu pleures. Quand j’avais découvert La Fille seule, où je pouvais difficilement me rater !, je n’en étais pas revenue ! Les films comme la pub ne te renvoient que des facettes de toi. Et c’est ça qui est intéressant, je n’ai pas envie que qui ce soit me prenne au saut du lit ! Je suis un matériau qui s’abandonne pour être façonné.
Quel est votre rapport à l’argent ?
Je suis très fière de gagner mon argent moi-même, personne n’est là pour m’en donner à ne rien faire, et c’est très bien comme ça. Si je ne tourne pas pendant un an, l’argent de L’Oréal me permet de ne pas rajouter de l’angoisse financière à de l’inquiétude artistique. Mon travail pour L’Oréal m’assure la liberté de choix de mes films, donc une énorme liberté de déplacement. Quand il n’y a pas beaucoup de fric sur un film, c’est grâce à mon travail pour L’Oréal que je peux me permettre de le faire quand même.
Quels sont vos rapports avec votre agent, Myriam Bru ?
Je travaille avec elle depuis que j’ai treize ans et je l’aime beaucoup. Elle travaille toute seule, ce n’est pas une agence, et s’occupe de peu d’acteurs. Comme on se connaît depuis longtemps, je me sens d’autant plus maître de mes décisions. On est très rarement pas d’accord, parce qu’elle sait parfaitement comment je fonctionne. Quand je ne suis pas bien, elle est là. Et comme je suis nulle pour dealer un contrat, heureusement qu’elle est là ! Elle sait ce que je vaux sur le marché, puisque c’est aussi un marché. Parce que je le vaux bien ! (rires) Mais jamais elle ne m’a déconseillé de faire un film parce qu’il y avait peu d’argent. Parce qu’elle aime et connaît le cinéma
Vous vous sentez à l’aise dans le « métier » ?
Oui, mais je ne le côtoie pas beaucoup. Ce n’est ni une famille ni une confrérie. Et je ne me sens pas faisant partie intégrante d’une corporation.
Le côté purement de représentation de ce métier, que ce soit à Cannes ou aux Césars, paraît vous amuser ? Vous aimez vous déguiser ?
Oui, ça m’amuse et ça me fait plaisir. Comme enfiler le costume du spectacle de fin d’année de l’école m’amusait, même si ce costume n’a pas de raison d’être dans ma vie de tous les jours. C’est le plaisir du travestissement, même si je fais des films qui sont plus ancrés dans le réel, et c’est ça qui me fait rêver. J’ai un côté très voyeur et j’adore aller chez les gens, regarder comment ils vivent. J’aime jouer des gens ordinaires parce que pour moi, ils sont par définition extraordinaires. J’aime interpréter quelqu’un d’absolument quelconque, comme Maria dans le film de Richet, qui devient extraordinaire parce que la caméra s’intéresse à elle. La faire sortir de son ordinarité me fait rêver. Des fois, je vois des gens dans la rue et j’ai envie de les suivre, pour savoir qui ils sont, et comment ils sont chez eux, ce qu’ils mangent, s’ils allument la télé en rentrant, je suis très curieuse de ça, beaucoup plus que de lire la vie des stars. Les gens normaux m’intéressent parce qu’il ne le sont pas, ils en ont seulement l’air, et ça m’excite beaucoup, c’est ce qui me fait fantasmer, c’est ça le véritable inconnu pour moi. Mais Cannes ou les Césars, je ne pourrais pas me déguiser comme ça tout le temps. Ça me fait marrer, peut-être parce que je me demande toujours ce que je fous là, c’est même pas des trucs que j’ai jamais rêvés de faire. Mais c’est un plaisir, pas du tout une corvée, sinon je ne le ferais pas. Quand c’est une corvée, ça m’est arrivé quelques fois, c’est un enfer, parce que tu t’en veux de ne pas avoir su refuser, d’avoir écouté les gens qui t’ont convaincu que c’était important.
Qu’est-ce que vous ne referiez plus ?
Des séances de photos, quand elles sont mal faites, celle pour la couverture de FHM par exemple. Je n’attendais qu’une chose : que ça s’arrête ! Alors tu es d’autant plus pro que tu veux que ça soit terminé le plus vite possible ! Et tu te dis qu’on ne t’y reprendra plus jamais !
Pourquoi l’avoir fait quand même ?
Pour des mauvaises raisons. Parce qu’au départ, c’était le FHM anglais, j’avais dit non à l’édition française, parce que c’est flatteur d’être en couverture d’un journal anglais alors que je ne suis pas connue là-bas, parce que c’était important pour la Fox par rapport à la sortie de La Plage, et parce que je n’avais pas eu l’autorité de dire « Non ! », par peur de passer pour la fille prétentieuse, capricieuse ou bégueule. Une fois que tu as dit oui, l’équipe est là, ils sont venus de Londres, et tu es piégée ! Tu t’es laissée embringuer dans un truc à la con que tu aurais dû refuser. Et tu restes au lieu de te casser en te disant « Tu as dit « oui » ? Alors c’est bien fait pour ta gueule ! Ça t’apprendra ! », c’est presque un truc maso ! De la même façon, je déteste assister à des « premières » de films, quand ce ne sont pas les miens, quand je ne suis pas obligée, parce que tu te retrouves dans des situations fausses et inextricables, avec tout le cinéma français coincé dans une salle, et tu te retrouves à dire des mensonges’ Je n’aime pas non plus les fêtes, les fêtes de la profession, ça me stresse, je suis mal à l’aise quand j’ai l’impression d’être vraiment dans l’artifice social. Alors que quand je présente Cannes, j’ai un texte, un rôle et une fonction : j’ai quelque chose à y faire. Mais je déteste être en représentation sociale, ça me rend paranoïaque Dans ce genre de situations, je n’aime pas ne pas savoir ce qu’on attend de moi. Et puis je ne suis pas du tout mondaine, et je m’ennuie vite dans ce genre de situations.
A l’inverse, quel est le moment du métier que vous préférez ?
Quand la caméra tourne et que tu t’oublies, quand tu es dans l’acte même, c’est magique et ça le reste. Je suis toujours impatiente de ça, c’est vraiment ce que j’aime
Qu’est-ce qui a changé depuis vos débuts ?
Sur L’Eau froide, Olivier Assayas m’a donné envie d’être vraiment actrice, de ne plus faire du cinéma pour faire du cinéma, de façon égoïste et égocentrique, mais d’être aussi acteur de ce que je fais, de faire des films pour le cinéma. Sinon, non, le métier n’a pas beaucoup changé, même si mon statut a changé bien sûr Mais le moment où la caméra tourne n’a pas changé, heureusement, c’est toujours aussi fort. Et je suis toujours aussi fébrile et presque béate quand je lis un scénario qui me plaît et que je décide de le faire. Et j’ai toujours la même angoisse : que le metteur en scène change d’avis !
Comment considérez-vous vos collègues ?
Pas comme des concurrentes en tout cas. Il y a beaucoup de bonnes actrices et beaucoup de diversité. On peut bien sûr se retrouver plusieurs sur le même rôle, ça arrive, mais j’ai toujours eu l’impression qu’un rôle est pour moi ou pas. Et je n’ai jamais eu la sensation que quelqu’un me prenait un rôle ou que moi, je le prenais à quelqu’un, jamais. Parce que ça ne dépend pas que de toi mais du metteur en scène. Le propre du métier d’acteur est de dépendre du désir du metteur en scène. S’il ne te prend pas, tant pis, il te prendra peut-être plus tard ou autrement.
Comment vivez-vous ce que nous sommes en train de faire : la promotion des films ?
Ça dépend sur qui je tombe. Mais souvent, je flippe quand je sens que la personne veut m’amener quelque part où je n’ai pas envie d’aller, qu’il a une idée préconçue derrière la tête, des intentions : le genre « te faire dire ce que tu n’as jamais dit » ou t’agresser. Ça me rend parano, surtout les questions de vie privée. Parce que le métier d’acteur consiste justement à interpréter des rôles et à ne pas raconter sa vie privée !
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