[Les Inrocks revisitent les années 2010] La décennie cinématographique de Virginie Efira a été extrêmement riche et l’a placée au premier plan. En 2018, la comédienne nous faisait visiter sa ville de naissance et quelques lieux où elle a passé sa jeunesse.
[Les Inrocks revisitent les années 2010] Retrouvez le dimanche 24 novembre à 12 h30 les cinéastes Caroline Poggi, Jonathan Vient, Virgil Vernier, Antonin Peretjatko et Justine Triet (dont Virginie Efira fut l’héroïne dans Victoria en 2016) pour le talk “Comment le jeune cinéma s’affranchit-il du naturalisme pour se projeter dans l’imaginaire”, entrée libre dans la limite des places disponibles et toute la programmation ici.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“Tu te souviens d’une émission des années 90 sur M6 présentée par Laurent Boyer qui s’appelait Frequenstar ? C’est un peu ce qu’on va faire…” En se dirigeant vers la file des taxis de la gare du Midi à Bruxelles, Virginie Efira rit aux éclats et répond : “Ben oui, évidemment que je me souviens de Frequenstar ! Et de Laurent Boyer traversant les cours de maternelle en demandant à ses invités : ‘Et ce préau, ça te rappelle quoi?’ A mes débuts d’animatrice sur M6, une émission de TF1 avait produit un sujet sur moi, une sorte de miniportrait dont l’angle était : ‘Tout ce chemin parcouru ! Ou encore : l’ascension parisienne d’une petite Bruxelloise’. Je le sentais pas du tout mais à l’époque je n’osais rien refuser. On m’avait demandé de regarder par une fenêtre une vue des toits de Paris en prenant l’air rêveur et le journaliste me demandait : ‘Alors, Virginie ? Qu’est-ce que ça vous fait?’. C’était vraiment très gênant!” (rires).
Cela fait quinze ans que la “petite Bruxelloise” a quitté la capitale belge – “la capitale de l’Europe, aussi !”, corrige-t-elle, avant de nuancer “enfin je crois qu’il n’y a que les Belges qui emploient cette périphrase pour parler de Bruxelles”. Elle y retourne souvent, essentiellement pour voir son père, qui vit au nord-est de la ville, à Schaerbeek, et chez qui elle laisse aujourd’hui sa petite fille pour le week-end. Au divorce de ses parents, la mère de Virginie s’est installée à Molenbeek. Et c’est donc entre ces deux quartiers populaires que l’adolescente a grandi.
“Ici, tout le monde a une voiture, c’est Los Angeles”
Le taxi longe le canal de Charleroi, qui sépare le centre de Bruxelles de Molenbeek. “Mais Bruxelles est si petit qu’il n’y a pas du tout la même insularité des quartiers qu’à Paris, nous dit Virginie. Bruxelles et Molenbeek, ça n’a rien à voir avec Paris et les cités de banlieue. En dix minutes, on passe de l’un à l’autre. Ce ne sont pas des espaces séparés, la circulation est fluide.”
Elle se reprend. “Enfin, façon de parler. Parce que je ne sais pas si tu sais que justement le trafic automobile est atroce à Bruxelles. Ça doit être la deuxième ville la plus embouteillée du monde. Il y a des travaux tout le temps partout. Ici, tout le monde a une voiture, c’est Los Angeles (rires). Et ça roule vraiment très mal. A Paris, ça a été une joie d’arrêter de conduire.”
“Le MIMA un endroit très cool, qui montre qu’il y a aussi des lieux de culture et de mixité sociale à Molenbeek”
Passé un pont, nous voici à Molenbeek. Nous faisons une première halte dans un grand bâtiment de briques rouges qui borde le canal, le MIMA. MIMA pour Millennium Iconoclast Museum of Art. Un musée d’art paradoxal, qui expose des artistes ayant grandis à l’heure de la diffusion numérique, qui n’ont justement pas besoin de relais institutionnels entre leurs œuvres et le public (que ce soit les graffs des street artists ou les dessins satiriques très drôles de Joan Cornellà, qui provoquent l’hilarité de ses millions de followers).
Virginie a choisi de commencer la visite de Molenbeek par ce lieu pour trancher avec la vision répercutée depuis trois ans par les médias internationaux : celle d’une commune sinistrée devenue essentiellement une fabrique à terroristes. “C’est un endroit très cool, qui montre qu’il y a aussi des lieux de culture et de mixité sociale à Molenbeek.” Le MIMA a ouvert il y a deux ans. Mais son inauguration a été justement différée d’un mois. Elle devait avoir lieu le 22 mars 2016, le jour des trois attentats-suicides à l’aéroport et dans une station de métro de Bruxelles. Le président du musée, Michel de Launoit, nous fait visiter les 1 200 mètres carrés de ce lieu qui a accueilli 100 000 visiteurs en deux ans. Sur la terrasse du café-restaurant du musée, des grappes de hipsters trentenaires se prélassent au soleil.
L’intégration par la musique et la fête
Avec sa programmation tournée vers toutes les formes d’arts dits urbains (BD, street art, artivisme, culture skate…), le MIMA draine une population particulièrement juvénile. Raphaël Cruyt, un des deux programmateurs du musée, nous fait pénétrer dans la grande exposition en cours, celle des deux artistes suédois, Akay & Olabo. Longtemps considérés comme des vandales, les deux artistes interviennent dans l’espace public de façon clandestine, emménagent dans des lieux abandonnés et ne produisent des œuvres qu’à partir de matières recyclées. Dans des cagibis de bois, dans lesquels le visiteur s’immisce par la fenêtre, sont amassés des cadenas rouillés, des lambeaux de scies. Un bidonville en carton surmonte une mini-auto aux pneus crevés. Les visiteurs portent sur eux des antivols et passent des portillons où ils se mettent à sonner, tout à la joie qu’ici aucun vigile ne vienne les arrêter.
Raphaël Cruyt vit à Molenbeek, à quelques centaines de mètres de son lieu de travail et pour lui les attentats du 22 mars vont dans le sens inverse de l’histoire. “Quand j’étais jeune, à Molenbeek, c’était plus chaud qu’aujourd’hui dans la rue. Il y avait des bandes de quartiers, qui faisaient la course aux petits Blancs comme moi qui traînaient dans le quartier. Ils vivaient de petits rackets. Moi, ado, je venais ici parce que la musique électronique, les clubs de techno qui ne fermaient jamais, les free parties, se sont développés il y a trente ans au bord du canal. Aujourd’hui, le quartier est plus mixte. Des artistes y installent leur atelier.
Au musée, nous avons approché le club de boxe le plus populaire de la ville, qui a deux salles à Molenbeek. Beaucoup de champions en sont issus et, beaucoup de gars du quartier, et des filles aussi, font de la boxe. Avec le club, et le concours de ses entraineurs, nous avons créé les soirées Alors on danse, des fêtes dans notre lieu où tous les jeunes du quartier viennent boire des coups. On peut y voir à la fois des femmes qui font du henné, des gamins qui slament, une flamande designeuse, le fils de l’imam… Cette intégration par la musique et la fête, c’est ce qui nous touche le plus.”
“A 14 ans j’ai vu Jungle Fever de Spike Lee et ça a changé ma vie”
D’étage en étage, on atteint la terrasse au sommet de la bâtisse. De là, on domine tout Bruxelles. Autour du canal, des grues montent des constructions nouvelles, des habitations à loyers non modérés, drainant une population plus bourgeoise, prémices d’une gentrification du quartier. En regardant le canal, on demande à Virginie si elle aussi fréquentait les clubs et les free parties qui ont fait de Bruxelles une des capitales de la techno à l’aube des années 90. “Ah non pas du tout. J’étais un peu jeune. Et puis j’écoutais pas d’electro. Enfin, à 10 ans, comme tout le monde, j’aimais bien Technotronic et Pump up the Jam. Mais très vite, je n’ai plus écouté que de la musique black, du hip-hop, du r’n’b. A 14 ans j’ai vu Jungle Fever de Spike Lee et ça a changé ma vie. Je peux dire que Wesley Snipes a façonné mon idéal érotique d’adolescente.”
Cette adolescente qui kiffait Wesley Snipes, le r’n’b, les soirées black et les comédies US (“Je crois que j’ai vu toutes les comédies américaines produites entre 1990 et 1995”), on part sur ses traces d’un coup de taxi direction Chaussée de Jette, dans la maison maternelle de Virginie, où la famille recomposée comportait six autres enfants. En traînant le long de la façade, elle se souvient de l’emplacement de sa chambre, qu’elle partageait avec les autres filles de la famille. En s’adossant à la porte, elle revoit dans un flash la vieille voisine d’autrefois qui les épiait continuellement et se dissimulait d’un coup sec de la main derrière son rideau dès qu’elle se savait vue.
“Le quartier était hanté par Jean-Claude Van Damme, qui avait vécu par là avant de partir à Hollywood. Certains mecs disaient même l’avoir connu”
“Le quartier était hanté par Jean-Claude Van Damme, qui avait vécu par là avant de partir à Hollywood. Certains mecs disaient même l’avoir connu. J’ai rencontré un mec qui avait joué des petits rôles dans ses films. Il était un peu mytho et m’avait draguée en me promettant de faire du cinéma. J’avais accepté de répéter un rôle avec une copine et on l’avait même accompagné à Cannes pour trouver des financements. Bon t’imagines bien que le film s’est jamais fait. (rires) Et là, autrefois, il y avait le vidéo-club où on louait des films. Les patrons racontaient aussi qu’ils étaient de la famille de Jean-Claude Van Damme. Il était vraiment une idole nationale à l’époque”.
On chemine doucement vers la station Simonis, où Virginie prenait le métro pour aller au lycée. Un jeune homme passe à côté de nous et s’exclame : “Oh Stéphanie !” Virginie lui sourit, comme si elle était celle qu’il pensait avoir reconnue. “En fait, il m’a confondue avec une speakerine très populaire, Stéphanie. Tu savais qu’il y avait encore des speakerines à la télé belge ?”
“Le sentiment d’appartenance est faible ici”
Sur le chemin, on croise plusieurs jeunes femmes voilées. On lui demande si le port du voile était si répandu quand elle vivait ici. “Oui bien sûr. Dans ma classe, il y a toujours eu plein de filles voilées. Et pour moi ça n’a jamais été un objet de curiosité. Je crois que plus de 50 % de la population à Molenbeek est issue de l’immigration. J’étais dans une école publique qui avait un très bon niveau, et où le mélange était extrêmement fort. Tu sais, j’ai l’impression que Bruxelles est une ville à laquelle on n’appartient pas. Personne.
Le sentiment d’appartenance est faible ici, contrairement à Paris, où on est parisien ou pas, où on cherche à le devenir, ou pas… Tout le monde à Paris est quand même plus ou moins travaillé par cette question. Elle ne se pose pas comme ça à Bruxelles. On y vit, mais ça ne constitue pas tout à fait une identité. Du coup, ça influe aussi sur la perception des populations immigrées. On se sent tous un peu reliés.”
Devant la station, Virginie se souvient d’une bande de garçons campée sur un muret tous les jours du matin au soir. “Ils étaient au moins vingt ! Que des garçons. C’était une ambiance hyper masculine et ils mataient. Un jour, l’un d’eux est venu me parler et m’a proposé de me raccompagner jusqu’à chez moi. J’ai dit OK. Après, chaque jour, il y en avait toujours un qui s’en chargeait.”
“Peut-être que je choisissais toujours le bisou, en fait”
De souvenirs de garçons en souvenirs de garçons, on finit par lui demander si elle se souvient de son premier baiser. “Oui, mais c’était un jeu. J’étais enfant. On jouait dans la cour de l’école à bisou/baffe. Le principe était hyper sexiste. Les garçons couraient après les filles (et jamais l’inverse). Quand un garçon réussissait à attraper une fille, il lui disait : “bisou ou baffe ?”, et elle choisissait. C’était bien parce que ça permettait d’embrasser sans assumer qu’on en avait envie. On pouvait dire que c’était juste pour éviter une baffe.” On s’inquiète alors de savoir si l’extrême vexation du garçon à qui on exprimait qu’on préférait encore être giflée par lui plutôt que d’avoir à l’embrasser ne lui faisait pas administrer une claque vengeresse et monumentale. Elle réfléchit mais ne se souvient pas : “Peut-être que je choisissais toujours le bisou, en fait” (rires).
Tandis qu’on borde la ville en taxi vers le sud, Virginie montre différents endroits qui furent autant de paliers dans sa vie professionnelle : un bar où elle fut à 18-19 ans Miss Tequila, avec une ceinture de shots autour de la taille ; un club où elle était barman et fut repérée par un pro de la télé belge qui la débaucha pour animer des émissions d’ado. Très jeune, elle a beaucoup vécu la nuit, partagé une coloc avec des copines strip-teaseuses et pros du lap dance, beaucoup traîné dans les soirées de drag-queens. “Je m’habillais un peu comme elles, j’adorais les platform shoes.”
“De plus en plus je rencontre des gens qui a un certain âge ont envie de passer la dernière partie de leur vie là où ils l’ont commencée. Je ne crois pas que ça sera mon cas”
Dans la commune de Forest, nous rejoignons le frère de Virginie, de six ans son cadet. Yorick nous attend dans son atelier, au grenier d’une étroite maison de ville, qu’il loue 80 euros par mois. Il est peintre et sculpteur. Avec des matériaux récupérés, cartons, bois, allumettes, il construit des maquettes de quartiers bruxellois. Il en peint certains aussi. “Je m’adapte au marché et ces paysages urbains, c’est ce qui marche le mieux”. Ces vues de Bruxelles mettent en relief l’architecture et vident la ville de toute présence humaine. Adossés à un mur, on remarque aussi une série de toiles au trait expressionniste représentant des clowns, des personnes déguisées, un carnaval… “C’est mon ancienne production. Je voulais traiter de la complexité du rapport à l’autre, de la nécessité de porter des masques.”
Yorick peint depuis l’adolescence, a fait un détour par le graffiti et le graphisme. En ce moment, il travaille sur la maison que sa sœur, Virginie, vient d’acheter à Arles et dont la mère est en charge de la déco. Il a plusieurs fois exposé à Paris, et très régulièrement en Belgique. Yorick a un léger accent wallon que Virginie a perdu, mais qu’elle retrouve sur certains mots après une journée à parler à des proches. En embarquant dans un ultime taxi, on lui demande si elle a toujours imaginé quitter Bruxelles. “Quand je vivais ici et bossais dans cette émission que je présentais en portant des tresses et des tenues fluo, je savais que ça n’allait pas durer. Et en même temps, je n’attendais pas que la vie commence. Je savais que c’était déjà ma vie et je faisais en sorte de m’investir dans ce que je faisais. Mais je voulais autre chose, et j’avais la conviction que cette autre chose était ailleurs. Que je ne ferais pas ma vie ici. En l’occurrence, ça a été Paris. Maintenant parfois je me projette encore ailleurs. De plus en plus je rencontre des gens qui a un certain âge ont envie de passer la dernière partie de leur vie là où ils l’ont commencée. Je ne crois pas que ça sera mon cas. Si je m’imagine beaucoup plus tard, je me vois dans une ville plus petite, peut-être dans le sud, peut-être Arles…”
Merci à l’équipe du MIMA pour son accueil
{"type":"Banniere-Basse"}