Après « La bataille de Solferino », Justine Triet confie a la Reese Witherspoon francophone les rênes d’une étincelante comédie.
Même en aimant beaucoup La bataille de Solférino, on ne pouvait pas tout à fait anticiper la fracassante réussite de Victoria. Le premier long de Justine Triet – dans lequel une journaliste télé (Laetitia Dosch) devait gérer en même temps la couverture en direct des présidentielles et le pétage de plomb de son ex intenable (Vincent Macaigne) – débordait de fougue. Il affirmait un ton à la fois très contemporain, indéniablement en phase avec cette injonction (via les réseaux sociaux) que nos vies intimes deviennent également un direct permanent, que chaque individu génère sa propre chaîne d’infos en continu.
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Mais ce petit cyclone de cinéma agité et braillard n’augurait en rien le modèle de précision, d’horlogerie narrative, de raffinement d’écriture de cette comédie romantique next generation.
Victoria speaks
Le film raconte le tumulte professionnel et sentimental qui ravage d’un coup la vie d’une late trentenaire nommée Victoria Spik, vraie battante à l’extérieur (mère célibataire qui gère, grosse consommatrice sur Tinder, reine du barreau en journée), mais progressivement véritable loque à l’intérieur. Victoria Spik est avocate. Victoria speaks donc. Toute la journée. Le film débute par une scène de négo avec son baby-sitter où, jusque dans les retranchements les plus mesquins de sa vie perso, l’avocate fait montre d’un vrai brio rhétorique. Et pourtant, l’arme maîtresse de Victoria, la parole, devient son talon d’Achille. A mesure que sa vie privée interfère avec son taf (son meilleur ami – désopilant Melvil Poupaud – obtient qu’elle le défende contre sa compagne, l’accusant de l’avoir poignardée dans le ventre), tout se dérègle dans la vie de Victoria.
Cette aptitude à conjuguer dans l’exercice de toute plaidoirie la vérité et le mensonge fait tout à coup problème. Le vrai devient indiscernable, le faux insupportable. Surtout quand un ex de Victoria, devenu écrivain, se met à déballer leur vie privée dans un blog autofictionnel. Victoria, autrefois prolixe en toute désinvolture, prend soudainement la mesure et le poids de chaque mot. Et la scène de rédemption qui la voit remettre sa robe d’avocate complètement stone, chaque mot sortant de sa bouche au ralenti et séparé par de longs silences gênants, est une réussite comique digne des grands Blake Edwards tardifs.
Victoria s’pique
Le film manie avec panache la géométrie savante de la comédie US « grand genre » (un peu du Cukor, de Madame porte la culotte par-ci, un peu de McCarey par là) tout en lui injectant des saillies excentriques inouïes : un chien appelé à la barre d’un tribunal, un selfie réalisé par un chimpanzé ou encore, prince charmant mal profilé, un personnage de dealer babysitter flegmatique campé par un Vincent Lacoste idéal (nul mieux que lui ne saurait porter des gants Mappa roses en disant « Allez les filles, on range les ipad et on va se coucher« ).
A mesure que le film avance, Victoria ravit aussi par sa façon de s’enfoncer dans des zones plus écorchées, d’approcher en douce l’œil du cyclone d’une « middle-life crisis » carabinée. Aux incohérences du sentiment, aux apories du langage, à la brutalité des rapports de désir et de domination, Victoria…se pique. Ressort même toute gercée de ces désillusions. Le film n’hésite pas alors à mettre en danger son propre allant, à faire peser sur la vis comique de subits sacs de plomb chagriné.
Dans ces remuantes décompressions, entre déprime et euphorie, soudaine profondeur et fantaisie tous azimuts, Victoria déploie toute sa grâce. Une grâce évidemment inextricable de celle de son interprète royale, Virginie Efira, jusque-là souvent très bonne dans des films moyens, qui est ici regardée et portée comme jamais, enfin éblouissante.
Victoria de Justine Triet (France). Avec Virginie Efira, Vincent Lacoste, Melvil Poupaud, Laurent Poitrenaux. Semaine de la Critique.
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