L’histoire secrète de la mère du premier enfant de Mussolini. Récit poignant d’un cauchemar intime et national
Le sujet de Vincere est tiré d’une histoire vraie, longtemps demeurée cachée (même en Italie) : celle d’Ilsa Dalser, une jeune femme bourgeoise et fortunée qui, au début du vingtième siècle, à Trente, tombe follement amoureuse d’un jeune et fougueux instituteur socialiste qui répond au doux nom de Benito Mussolini. Elle adopte ses idées (même fluctuantes), finance ses activités politiques et ses journaux activistes, vend bientôt tous ses biens pour aider à la naissance d’un parti, Popolo d’Italia, qui préfigure le futur parti fasciste. A la veille de la première guerre mondiale, elle donne aussi naissance à un fils, qu’elle baptise au hasard du doux nom de Benito. Seulement voilà : Benito le père part à la guerre et disparaît totalement de sa vie (et du film – idée de cinéma géniale, qui recentre le film sur son personnage féminin principal et transforme le père en dieu). Elle apprend un jour qu’il est marié et qu’il a d’autres enfants. Elle va alors, durant le restant de sa vie, lutter en vain pour faire reconnaître son fils (qui est après tout le fils aîné de Mussolini) par un père de plus en plus résistant et fort, effrayant, puisqu’il va bientôt disposer de tous les pouvoirs dans son pays et incarner à lui seul la figure paternelle absolue et indépassable de tout un peuple.
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On voit bien ce qui dans cette histoire véritable, où la grande histoire et l’ultra-symbolique se marient, a pu intéresser un cinéaste comme Bellocchio. Depuis toujours, une figure fondamentale et totémique de la civilisation judéo-chrétienne occupe un statut très particulier dans le travail cinématographique du cinéaste italien : la mère. Des Poings dans les poches, son premier en 1965 (où le jeune héros, interprété par Lou Castel, assassine sa mère), au Sourire de ma mère, en 2001 (où Sergio Castellito doit affronter le fantôme d’une mère soi-disant parfaite que le Vatican souhaite béatifier), en passant par La nourrice en 1998 (où Valeria Bruni-Tedeschi, mère d’un enfant pour lequel elle n’éprouve aucun sentiment, finit par jalouser l’amour que lui porte sa nourrice), l’un des cinéastes italiens les plus progressistes de notre temps et les mieux épris de psychanalyse tient les mères catholiques en ligne de mire, mettant en lumière leur cruauté, leur art de la culpabilisation, leur attention à perpétuer les traditions et névroses patriarcales et phallocratiques, et bien sûr l’impossibilité donné aux fils de les tuer symboliquement.
Vincere marque une nouvelle étape dans son discours sur les mères.
Certes, sous une forme mélodramatique et opératique totalement assumée (la musique omniprésente, les costumes, l’érotisme et la passion des scène d’amour, le souffle de la mise en scène, l’usage de gros plans intenses et le jeu expressionniste des acteurs – qui sont tous remarquables), ce dernier transforme l’anecdote, aussi tragique qu’elle soit (la mère et le fils finiront leurs jours dans des hôpitaux psychiatriques), en une allégorie délicate et habitée de l’Italie, cette « femme » qui fut séduite, satisfaite, engrossée puis volée et trahie, reniée par un homme qui ne voulait que le pouvoir…
Mais Bellocchio inscrit aussi au cœur de Vincere un doute sur le comportement de cette Ida Glaser, qui aurait sans doute fait une femme de tyran idéale. Son obstination acharnée à vouloir faire reconnaître la vérité est profondément admirable et déchirante (et l’on pleure avec elle). Mais qu’allait-elle faire dans les bras de cet homme, qui dès leur rencontre portait dans le regard les traces d’une volonté de puissance inextinguible ? Comment pouvait-elle les ignorer ? En s’acharnant ainsi, n’entraîne-t-elle pas volontairement son fils à sa perte (qui, dans une scène d’anthologie, entre farce et drame, fait rire ses amis étudiants et nous révèle sa folie en imitant son père à la perfection – les deux rôles sont interprétés par le même acteur) ? On ne peut exonérer une femme, un peuple des ignominies commises par le chef qu’ils ont élevé. En lui rendant une part de responsabilité, Marco Bellocchio, dans un beau geste artistique, redonne autre chose à Ida Glaser : sa dignité perdue.
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