[Les Inrocks revisitent les années 2010] Pour tirer le bilan de la décennie, Vincent Lacoste participera à un talk organisé par les Inrocks, le 23 novembre. En 2018, il avait retracé pour nous dix ans de parcours dessinant une ligne exemplaire d’exigence et d’intuition du cinéma pour un numéro dont il était notre rédacteur en chef invité.
Le samedi 23 et le dimanche 24 novembre, Les Inrocks revisitent les années 2010 en partenariat avec Lafayette Anticipations. Toute la programmation ici. Entrée libre dans la limite des places disponibles.
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La sortie cette semaine du très beau film de Mikhaël Hers, Amanda, parachève une année pivot dans la carrière de Vincent Lacoste. Au printemps, il présentait pour la première fois un film dans la compétition officielle cannoise, Plaire, aimer et courir vite de Christophe Honoré. En septembre, il triomphait aux côtés de son pote William Lebghil dans le troisième succès public consécutif de Thomas Lilti, Première année (plus d’un million d’entrées).
https://www.youtube.com/watch?v=6LPkNBGtZFA
Une année de grande reconnaissance, à la fois artistique et publique, donc. Mais aussi un cap dans son parcours d’acteur jusque-là surtout marqué par une très grande aptitude à la drôlerie et dont la palette couvre désormais une étendue nouvelle. Plaire, aimer et courir vite et Amanda offrent à l’acteur un nuancier d’émotions très mouvant, où la nonchalance et la décontraction qui ont fait sa marque se brisent par à-coups pour libérer de subites saillies de chagrin.
Un jeune homme sommé précocement de devenir un adulte fort
Dans ces deux films, il est celui qui doit sans cesse contenir sa peine pour permettre à l’autre de tenir debout, masquer sa souffrance pour mieux entourer un être aimé et proche : un amant malade à l’agonie chez Christophe Honoré, une jeune nièce dont la mère vient de succomber dans un attentat chez Mikhaël Hers.
Son physique frêle, son allure toujours juvénile rendent un peu paradoxal et particulièrement émouvant ce nouvel emploi de jeune homme sommé précocement de devenir un adulte fort qui prodigue du réconfort et du soin. Sur un registre un peu funambule, pirouettant entre la pitrerie potache et l’émotion écorchée dans Plaire, aimer et courir vite, ou de façon plus directe, totalement déparé de ses atours comiques, dans Amanda, Vincent Lacoste touche dans les deux films un premier sommet de sa pratique de comédien.
https://www.youtube.com/watch?v=8K3FjDW_gAw
Cela devrait lui valoir au minimum une nouvelle nomination aux prochains César (la deuxième fois dans la catégorie meilleur acteur après sa citation pour Hippocrate, qui faisait de lui le plus jeune nommé de la catégorie). Par un hasard chronologique heureux, cette année d’accomplissement est aussi celle d’un anniversaire : il y a exactement dix ans, Vincent tournait son premier film, Les Beaux Gosses.
C’est dans un hôtel sur les sommets d’Alger qu’on rejoint le jeune comédien pour travailler le temps d’un week-end sur son numéro de rédacteur en chef invité. Il s’est installé dans la ville blanche pour tourner dans le second long métrage d’Hélier Cisterne (auteur d’un premier film marquant dans les milieux du graf, Vandal, en 2013).
Trois jours avant le tournage des « Beaux Gosses », il se casse un genou
On le retrouve dans un piètre état, cassé par un lumbago qui raidit sa démarche et le condamne à passer tout son temps hors du plateau alité dans sa chambre. “Eh ouais, c’est le coup des dix ans de carrière ! Je crois que j’ai pas supporté. Regarde dans quel état ça m’a mis le cinéma. Je suis déjà tout vieux et tout usé”, plaisante l’acteur, qui s’est endommagé le dos en se risquant aux machines de la salle de sport de son hôtel.
De fait le garçon a une santé fragile. “C’est vrai que j’ai souvent des galères de santé sur les tournages. Des petits trucs mais qui empoisonnent la vie. Sur mon précédent tournage, le film d’Antoine de Bary, j’ai dû me faire opérer d’un chalazion, un kyste dans l’œil. Ils m’ont retourné la paupière, c’était Orange mécanique ! (rires)”
Et cette malédiction a frappé dès le début de sa carrière : trois jours avant le tournage des Beaux Gosses, il se casse un genou. “Je me suis fait une subluxation dès mon premier film. Trois jours avant de partir à Rennes tourner avec Riad Sattouf, je suis allé à un concert punk. C’était la première fois que mes parents me laissaient aller à un concert tout seul. J’étais à fond. J’ai dansé un pogo sur une piste aspergée de bière. Je glisse et me pète un genou. »
https://www.youtube.com/watch?v=adY03AiyQpo
« Là d’un coup, c’est panique à bord. Riad m’a emmené voir une magnétiseuse, mais évidemment ça n’a servi à rien. Le médecin des assurances m’a conseillé un spécialiste du genou qui m’a fait une ponction. Durant tout le film, j’ai porté une attelle qui courait tout le long de ma jambe. C’était mon premier film et je l’ai passé à boiter (rires).”
“Putain, Lacoste ! J’en peux plus de sa tronche !”
Acte manqué, somatisation : les outils ne manquent pas pour interpréter ces troubles physiques qui jaillissent quand le comédien tourne. S’esquisse alors la figure d’un jeune homme probablement beaucoup plus angoissé que ne le laisse paraître sa coolitude de grand ado aux mille facéties.
Ce réservoir d’anxiété, on le sent frémir lorsque Vincent parle de sa peur de lasser, s’inquiète parfois de tourner trop, se demande si à un moment donné les gens ne vont pas se dire : “Putain, Lacoste ! J’en peux plus de sa tronche !” Il pense que forcément, ça va arriver, dit qu’il doit se blinder par rapport à ça.
En dix ans, sa cadence de tournage a néanmoins varié. Ces dernières années, il a alterné des phases un peu frénétiques et des moments d’inactivité de plus d’un an. Un an et demi même entre Victoria (2016) et Première année (2018). “Rien ne me plaisait.” Il a donc refusé pas mal de projets et fait montre d’une certaine exigence dans ses choix.
« Le déclic a été ‘Le Skylab’ de Julie Delpy »
“Je choisis les films que je tourne comme un spectateur choisit les films qu’il va voir. Je ne me vois pas jouer dans un film dont je ne serais pas curieux comme spectateur, que je n’aurais aucune envie de voir.” Cette sélectivité, il l’a construite assez vite.
“Je crois que le déclic a été Le Skylab de Julie Delpy que j’ai tourné quand j’avais 16 ans. Tout à coup, je retrouvais une cinéaste qui avait un univers très fort, aussi fort que celui de Riad, et pourtant très différent. Et moi, je trouvais une place dans son monde. J’ai compris que c’était ça que je cherchais. »
https://www.youtube.com/watch?v=B0m6ElnNz8Q
« Ce qui me déclenche, ce n’est en aucun cas le scénario, ni mon personnage, ni même spécialement le plaisir de jouer. Ce qui m’attire c’est le ou la cinéaste. Je m’intéresse aux auteurs. J’ai envie de les aider à développer leur vision. Moi je le fais en jouant, comme un chef op le fait avec la lumière. Mais ce qui m’intéresse, c’est le sentiment de créer du cinéma.”
De fait, sa filmographie trace une ligne assez claire, contournant les territoires du cinéma industriel (exception faite d’Astérix et Obélix au service de Sa Majesté en 2012), qui privilégie plutôt les films indépendants, fussent-ils à succès (Hippocrate et Première année donc, mais aussi Saint Amour (2016) de Delépine et Kervern, Victoria de Justine Triet, Lolo (2015) de Julie Delpy…) et très peu les purs films de majors (les productions Gaumont, UGC…).
Chacun de ses choix de film marque un désir d’appartenance
Certains comédiens semblent puiser leur énergie dans la dépense, dans leur capacité gloutonne à tourner tout et n’importe quoi, comme si la force d’un comédien consistait à pouvoir parcourir tous les territoires, enchaîner les chefs-d’œuvre et les navets avec le même appétit, avec cette foi que même les mauvais films nourrissent (exemplairement Depardieu).
D’autres au contraire choisissent les films avec le plus grand soin, articulent une vision générale du cinéma par leurs choix, comme si les mauvais films abîmaient les acteurs et que la petite palpitation vitale qui constitue leur trésor se devait d’être préservée, protégée d’emplois trop grossiers susceptibles de la dénaturer.
Indubitablement, Vincent Lacoste appartient plutôt à la seconde catégorie, celle soucieuse de tracer un territoire, où chaque choix de film marque un désir d’appartenance. “J’admire énormément Michel Piccoli, c’est vrai. On a l’impression que l’ambition de toute sa vie a été d’être à l’endroit où il y a de la création. Il s’est beaucoup déplacé pour ça, il a couvert les cinémas de plusieurs pays, sur plusieurs époques. »
« Il a fait le lien entre Ferreri et Buñuel, Sautet et Oliveira, Demy et Moretti, Chahine et Rivette… Mais il était là aussi quand sont apparus Carax, puis Bonello. Il a su rester toujours aussi attentif et disponible aux artistes nouveaux. Deneuve est comme ça aussi. Depuis le début, par les choix qu’elle fait, elle défend une idée du cinéma. »
https://www.youtube.com/watch?v=r_nJz2KTKIk
« Dans une autre génération, je dirais que Melvil Poupaud fait également la même chose. Il construit une œuvre, où chaque film compte. Il ne se disperse jamais. Il y a très peu de trucs mauvais. Il trace une ligne qui joint Ruiz, Rohmer, Desplechin et plein de cinéastes moins connus, mais intéressants. Il y a une forme absolue d’intégrité dans la façon dont il conduit sa carrière.”
« Depardieu doit probablement se sentir un peu seul parfois »
On lui parle alors de la trajectoire de Gérard Depardieu, dont la puissance paraît ne jamais être entamée par des choix faisant au contraire preuve de très peu de rigueur. Il s’emporte un peu. “Oui mais attends, Depardieu, c’est exceptionnel. Ça commence par vingt ans de pur génie où il aligne les chefs-d’œuvre absolus et les immenses cinéastes. Et à cette époque, même quand il fait des films commerciaux, ils sont trop bien. »
« Moi j’adore La Chèvre par exemple et tous les films qu’il a faits avec Francis Veber. Il a tout fait, et même ces vingt dernières années, il a continué à tourner régulièrement de beaux films avec Delépine et Kervern (Mammuth) ou Nicloux (Valley of Love). »
« Personne d’autre que lui ne peut savoir ce que ça fait d’être le plus grand acteur de toute l’histoire du cinéma français, d’avoir fait des choses sublimes, d’avoir été l’ami proche de cinéastes immenses qui sont morts, Pialat, Truffaut, Resnais, Duras… Il doit probablement se sentir un peu seul parfois, mais il sait qu’il faut continuer à avancer.”
Une cinéphilie amorcée dès l’âge de 12 ans
Ce désir très fort pour le cinéma a précédé chez Vincent la pratique. La cinéphilie lui a été transmise par ses parents, qui lui ont montré dès l’enfance pas mal de films. A 12 ans, le petit garçon est fasciné par la mafia, ses rites brutaux, sa violence clanique. Son père lui fait alors découvrir le cinéma de Scorsese, Les Affranchis, Casino, puis il visionne tous les films du cinéaste.
“Après Scorsese, j’ai enchaîné sur Coppola, Le Parrain, puis le reste de son œuvre. Et après Coppola, je suis passé à De Palma. Adolescent, j’adorais le Nouvel Hollywood et comme ces cinéastes ne juraient que par la Nouvelle Vague, je me suis mis à mater des films de Truffaut et ça m’a beaucoup plu. J’avais donc déjà vu pas mal de films quand j’ai tourné Les Beaux Gosses. »
https://www.youtube.com/watch?v=8vu-Pk9uG4w
« Bien sûr, avant le film de Riad, je n’aurais jamais imaginé qu’un jour je puisse gagner ma vie grâce au cinéma. Mon père est juriste, ma mère est au conseil de l’ordre des médecins. Je n’avais autour de moi aucun modèle d’accomplissement artistique. Je ne me serais jamais autorisé à m’imaginer là-dedans. Je ne pensais pas que c’était à ma portée. »
« Mais comme j’étais très jeune avant de tourner dans Les Beaux Gosses, je n’ai pas eu le temps non plus de rêver sur un métier. Le seul taf que j’ai vraiment follement eu envie de faire, c’est peut-être chirurgien esthétique.” Lorsqu’on lui demande pourquoi, il parle de sa passion, à 13 ans pour la série Nip/Tuck.
Avec Riad Sattouf en père de substitution
“La figure de Christian Troy (un des deux personnages principaux de chirurgiens – ndlr) me faisait complètement délirer. C’était le mâle alpha, à Miami, entouré de plein de meufs, qui roulait dans une Lamborghini. Je voulais être lui.”
Et puis survient la rencontre avec Riad Sattouf, dont il ne connaissait pas les BD, et le tournage des Beaux Gosses. Plus rien désormais ne sera pareil. Après le tournage du film, durant l’été 2008, il entre en seconde. “J’étais plutôt un bon élève en troisième, je travaillais, j’avais de bonnes notes. Mais ça s’est effondré en seconde. Je ne foutais plus rien et j’avais des problèmes de discipline. »
« Je crois que, sans pouvoir me le formuler, je ne supportais pas d’être retourné à mon ancienne vie. Le film n’allait sortir que neuf mois plus tard et je n’avais aucune idée de ce que ça allait donner. J’étais un peu perdu. Mais Riad était super présent. On se parlait tous les jours sur MSN. Il me poussait à bosser, voulait que je continue au moins jusqu’au bac. Il se comportait comme un père de substitution ou un grand frère. Je pense qu’il flippait à l’idée d’avoir peut-être bousillé la vie de ce môme (rires).”
L’incarnation d’un étudiant qu’il n’a pourtant jamais été
La suite est connue. Les Beaux Gosses remporte un franc succès et assez vite les propositions d’autres films affluent. Vincent devient un temps l’ado de service du cinéma français, l’incarnation du jeune, une figure d’identification pour la génération des millennials. Mais paradoxalement, cette adolescence qu’il incarne si fortement à l’écran, il ne va pas la vivre complètement, car précisément le cinéma le précipite dans la vie d’adulte.
Cette vie d’étudiant qu’il figure encore dans Première année n’a jamais été la sienne. Il représente des expériences que le fait même de les représenter ne lui a pas permis de vivre. Très tôt, il a gagné sa vie, pris un appartement, est devenu indépendant, a fréquenté des gens plus âgés que lui. Cette année néanmoins, il a enchaîné deux premiers films réalisés par des garçons de son âge, qui étaient déjà ses meilleurs potes dans la vie : Félix Moati (Deux fils, sortie en février 2019) et Antoine de Bary (L’Enfance d’un chef).
“C’est assez chouette de rentrer dans l’univers de personnes qui font déjà complètement partie de sa vie, avec qui on partage beaucoup. Dans les deux films, je joue un personnage qui est un peu eux. Surtout dans le film de Félix d’ailleurs.”
Ses premières fois au cinéma
Une des particularités d’une carrière d’acteur qui commence aussi tôt tient à ce que toutes les premières fois d’une vie humaine soient représentées les unes après les autres. On s’amuse alors avec lui à compter toutes ses premières fois. La première fois qu’on le voit faire l’amour par exemple, c’est avec Léa Seydoux dans Journal d’une femme de chambre de Benoît Jacquot (2015).
“Mais c’était une scène de sexe vraiment bizarre pour une première fois. Car c’était aussi une dernière fois puisque mon personnage était malade et mourait pendant le rapport. J’avais dans la bouche une boule de faux sang que je devais cracher à un moment donné sur Léa (rires). C’était vraiment chelou.”
Avant, il avait embrassé Charlotte Gainsbourg dans Jacky au royaume des filles (Riad Sattouf, 2014). Mais il considère que sa vraie première histoire d’amour au cinéma, il la vit avec Virginie Efira dans Victoria. Dans Hippocrate, c’est la première fois qu’il a un métier.
https://www.youtube.com/watch?v=j2-gPz3cT6E
“Dans Plaire, aimer et courir vite, c’est la première fois qu’un cinéaste a voulu que je sois vraiment séduisant. C’était une grande préoccupation de Christophe (Honoré), il voulait que je sois sexy.” A ce jour, il n’a encore jamais été parent, mais déjà Amanda esquisse les contours de ce que serait un Vincent Lacoste père.
2019 pourrait lui faire passer un nouveau cap
De nos frères blessés, le film d’Hélier Cisterne, qu’il tourne à Alger avec pour partenaire Vicky Krieps (découverte dans Phantom Thread de Paul Thomas Anderson), pourrait, en 2019, lui faire passer un nouveau cap. Il y incarne un personnage réel (pour la deuxième fois après Thomas Bangalter, fugitivement, dans Eden) : Fernand Iveton, un ouvrier français vivant à Alger, proche du FLN, torturé et condamné à mort en 1956.
Un rôle dur, un personnage un peu plus âgé que lui, qui paraît accentuer cette inflexion adulte et grave dans son œuvre. On attend avec curiosité et confiance les prochaines circonvolutions de cette trajectoire attentive au plus vif du cinéma.
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