Confrontés à une relation amoureuse dont la fin est annoncée par la maladie, Vincent Lacoste et Pierre Deladonchamps composent dans Plaire, aimer et courir vite un couple d’amants bouleversant. Ils racontent leur investissement et leur croyance dans le film de Christophe Honoré.
Corps-supports de cette histoire de fantômes lettrés et d’amour tragique qu’est Plaire, aimer et courir vite, les comédiens Vincent Lacoste et Pierre Deladonchamps forment un couple terrassant de charme et de délicatesse. S’ils ont tous les deux déjà plusieurs fois accompagnés un film à Cannes, il s’agit de leur première présence en compétition officielle, à respectivement 24 et 39 ans.
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Vincent incarne Arthur, un jeune Rennais plein d’appétit pour l’amour, le sexe et la culture, tandis que Pierre est Jacques, un écrivain parisien atteint d’une maladie qui le mène vers son dernier repas. De leur rencontre naît un amour bleu électrique, un contact passionné entre deux tensions, l’une vorace, insouciante, éclatante et survoltée, l’autre souffrante et crépusculaire – Jacques oscillant entre le fatalisme de sa situation et l’envie de se laisser aller à des moments inversement proportionnels à la gravité de ce qui lui arrive.
“Un cadeau de la Providence”
Pour incarner cette vacillante lueur, Christophe Honoré avait d’abord porté son choix sur Louis Garrel, avant que ce dernier ne se désiste au profit d’un Pierre Deladonchamps on ne peut plus heureux de rejoindre le projet : “Sans mauvais jeu de mots, je suis assez honoré d’être dans ce film. J’adore le cinéma de Christophe et j’espérais secrètement travailler un jour avec lui. Quand il m’a appelé pour me proposer le rôle, je l’ai pris comme un cadeau de la Providence. Je me suis dit que je n’allais pas tergiverser quant au fait que ce n’était pas à moi qu’il pensait au départ.”
Un report de choix cohérent et frôlant la lapalissade, tant l’acteur semble, depuis ses rôles de travesti dans Nos années folles (2017) d’André Téchiné et surtout de naturiste homosexuel dans L’Inconnu de lac (2013) d’Alain Guiraudie, associé à un trouble dans le genre masculin. Ce double enjeu en forme de sortilège d’amnésie – faire à la fois oublier l’acteur pour qui le film a été écrit et le souvenir de ses propres rôles passés –, est complètement déflagré par la performance de Pierre Deladonchamps. C’est en elle que réside l’un des prodiges de Plaire, aimer et courir vite.
“Vincent est tout à fait le genre de personne avec qui j’adore être. On a essayé de faire en sorte que notre entente dans la vie déteigne sur le plateau” Pierre Deladonchamps
Un second état de grâce du film se niche dans l’éclatante complicité qui existe entre ses deux interprètes. S’ils s’étaient simplement croisés lors d’une fête cannoise avant qu’Honoré ne les rassemble, leur alchimie est ici saisissante. Une entente de jeu aussi bien qu’humaine qui démarre lorsque le réalisateur les convie à une seule et unique lecture du scénario, chez lui. “Christophe ne voulait pas trop déflorer le texte. Avant le tournage, on ne s’est vus qu’une seule fois tous les deux pour boire des bières après un dîner avec Christophe. Vincent est tout à fait le genre de personne avec qui j’adore être. On a essayé de faire en sorte que notre entente dans la vie déteigne sur le plateau”, nous confie Pierre.
En guise de préparation, le réalisateur préfère axer le travail sur les aspects physique et… olfactif ! En plus d’une direction vestimentaire aussi sublime que recherchée, Christophe Honoré a avant le tournage offert à chacun des acteurs un parfum synthétisant leurs personnages. “Ça cocotait dans les loges. Pierre avait un vétiver et pour moi il avait tenté de retrouver le parfum d’un vieux Cacharel qu’il portait quand il était jeune. Je trouve que c’est une très belle idée, et ça nous a aidés à rentrer dans la peau des personnages”, se rappelle Vincent, avant de poursuivre : “En plus de ça, il m’avait filé La Ligne de beauté d’Alan Hollinghurst à lire, et aussi deux films à voir : Happy Together de Wong Kar-Wai et My Own Private Idaho de Gus Van Sant. Mais on ne croulait pas sous les références. Mêmes si elles sont très présentes dans le film, ça lui appartenait à lui.”
“Christophe nous apporte beaucoup de nourriture sur le plateau”
Une certaine parcimonie dans le travail de préparation que Pierre affectionne : “Mon personnage fait écho à Hervé Guibert donc je l’ai lu, mais je n’ai pas tendance à surpréparer mes rôles. Tout en sachant mon texte et en ayant réfléchi au personnage, j’aime bien arriver un peu vierge au moment du tournage, d’autant que Christophe nous apporte beaucoup de nourriture sur le plateau. Chaque plan véhicule un désir qu’il parvient complètement à formuler et à transmettre.”
Pour raconter cette histoire d’amour contrainte par la distance et l’absence, Christophe Honoré a décidé de commencer le tournage par le début du film, à savoir la rencontre des deux personnages dans les rues de Rennes. Chacun de leur côté, Pierre et Vincent ont ensuite tourné des scènes entre Amsterdam et Rennes, avant de se retrouver à Paris pour tourner la fin du film. Ce tournage chronologique rejouant la séparation est le signe d’une certaine croyance dans la capacité de l’acteur à s’abandonner à son rôle, à laisser le sédiment de ce qu’il joue se déposer en lui.
Mais une telle ambition ne va pas sans une confiance totale, un lâcher-prise que Pierre Deladonchamps a très vite accordé à Honoré : “On sentait qu’on faisait quelque chose de puissant et que ce n’était pas la peine d’être dans le contrôle en permanence. Au moment où l’on tourne, je me jette dans le vide, j’ai envie de vivre la scène comme s’il n’y avait pas de caméra autour, comme si je m’appelais vraiment Jacques et que j’allais bientôt mourir du sida.”
“J’avais envie de tester de nouvelles choses”
Un don de soi aussi corporel qu’émotionnel que Vincent Lacoste était peut-être moins habitué à offrir que son aîné, le jeunot s’étant plus fait connaître dans le registre de la comédie d’auteur que dans celui de la romance charnelle et homosexuelle. Si Eden (2014) de Mia Hansen-Løve l’iconisait en Thomas Bangalter de Daft Punk, tandis que Victoria (2016) de Justine Triet annonçait en quelque sorte déjà sa mue en objet de désir, il n’avait jamais eu une dimension si érotique.
Mais ce travail charnel ne l’a dans un premier temps pas intimidé : “Je n’ai pas vraiment eu peur quand j’ai lu le scénario. C’est plutôt ensuite que je me suis demandé comment j’allais faire pour jouer ça. D’autant qu’il était encore plus sexuel que le film. Il y avait des choses assez crues, des indications comme ‘ils font un plan à trois’. Mais j’avais envie de tester de nouvelles choses. Et Honoré a toujours été hyper respectueux et attentif vis-à-vis de notre corps. Il mimait les scènes de sexe, il ne nous balançait pas juste, ‘Bon ben là, vous vous foutez à poil et vous baisez’. Par rapport à mes rôles précédents, j’ai l’impression que je devais faire un chemin plus grand vers le personnage. Il est peut-être celui qui est le moins proche de moi. En plus de son orientation sexuelle, il a très confiance en lui, il est très conquérant, très sexuel. C’est nouveau pour moi de me voir filmer de cette manière. Concernant les scènes de sexe, grâce à Pierre, c’était assez joyeux. J’étais un peu stressé par ça, assez intimidé même, et il m’a mis très à l’aise. Mine de rien, je n’avais jamais embrassé un garçon avant.”
“C’est un film qui raconte une histoire d’amour qui ne débute ni ne finit jamais, qui se déploie en permanence dans l’instant présent, qui se rêve dans un fantasme inaccessible” Pierre Deladonchamps
S’il exploite dans ce film un potentiel érotique jusque-là peu exprimé, Vincent Lacoste y charrie aussi une dimension comique qui, bien que présente au scénario, a été encore augmentée par l’expérience du plateau : “Christophe essayait toujours de ramener un truc de légèreté et de drôlerie pour dédramatiser des situations quand même extrêmement tristes. Je n’ai pas lésiné sur ces aspects comiques.”
Entre humour et drame, Plaire, aimer et courir vite raconte aussi une époque, celle des années 1990. Pour Pierre Deladonchamps, l’histoire d’amour d’Arthur et de Jacques est intimement liée à cette période : “Avant l’avènement du tout-numérique, on vivait paradoxalement moins seul, physiquement parlant. Il y avait plus de partage sensible, que cela soit à travers des lettres, des rencontres fortuites, des rendez-vous, des visites à l’improviste. Il y avait aussi quelque chose de précieux à ne pas maîtriser complètement la vie de l’autre, à ne pas savoir à chaque heure ce qu’il faisait, avec qui il était et où il se trouvait. On vivait le présent différemment. Et ce rapport au présent est au cœur du film parce que, quand on est amoureux, on aime se dire que ça ne s’arrêtera jamais, et là c’est impossible. C’est un film qui raconte une histoire d’amour qui ne débute ni ne finit jamais, qui se déploie en permanence dans l’instant présent, qui se rêve dans un fantasme inaccessible.”
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