Leur rencontre perce l’écran, comme une évidence presque aveuglante, un miracle de cinéma comme il y en a si peu et qui vous ramène soudain à l’essentiel, à l’aimantation première qui fait que vous êtes là, dans cette salle obscure. Je veux parler de la collaboration entre David Cronenberg et Viggo Mortensen, l’une des plus […]
Leur rencontre perce l’écran, comme une évidence presque aveuglante, un miracle de cinéma comme il y en a si peu et qui vous ramène soudain à l’essentiel, à l’aimantation première qui fait que vous êtes là, dans cette salle obscure. Je veux parler de la collaboration entre David Cronenberg et Viggo Mortensen, l’une des plus belles et cohérentes depuis des lustres. Pourquoi cela prend-il aussi bien entre eux ? Sans doute parce que Mortensen est plus qu’un acteur, un véritable mutant prompt, à ce titre, à faire corps – littéralement – avec les rouages on ne peut plus organiques (donc fantastiques) de la mise en scène de Cronenberg. Pourtant, cela ne nous saute pas aux yeux lorsque l’on découvre les premières scènes de l’acteur au début des Promesses de l’ombre. Son personnage de chauffeur pour un mafieux russe sonne un peu faux, trop beau pour être vrai avec ses cheveux parfaitement plaqués en arrière, le geste sec, vertical, définitivement viril, qu’il affiche un peu trop clairement quand il jette sa cigarette par terre. L’accent russe, lui aussi, semble trop lisible, sorti d’une mâchoire tendue, comme tirée par un mors invisible. Ce n’est que plus tard, lorsque l’on apprend que son personnage (d’infiltré) n’est pas tout à fait ce qu’il prétend être, que l’on mesure, rétroactivement, le tour de force accompli par l’acteur : le jeu dans le jeu de celui qui, drapé dans un imper noir, ressemble d’abord à un acteur un peu trop formaté, fantôme de lui-même. “Le faux, c’est l’au-delà”, déclare religieusement Léaud dans La Maman et la Putain ; ici, cet au-delà a pour nom la mafia russe et le faux n’est autre que le code d’accès à son monde mécanique, inhumain. Qui dit “faux” ne dit pas pour autant irréel : la fausseté en question a cela de terrible ici qu’elle est bel et bien réelle, et en l’occurrence charnelle. Viggo/Nikolai ne doit pas seulement être un automate dans ses gestes, mais aussi dans sa chair (tatouages à l’appui). Peu d’acteurs savent opérer de tels dédoublements (mais souvenons-nous que l’acteur jouait dans le “double” de Psycho, celui de Gus Van Sant). Là est l’autre tour de force de Viggo : dirigé par le fils du mafieux, comme un acteur guidé par un metteur en scène, le chauffeur baise une pute comme une machine, mais l’on voit – cruelle torture de cinéma – que l’esprit n’y est pas. Puis la mutation continue : de fantôme-automate, il passera à l’état de bête quand le corps manipulateur de l’infiltré deviendra corps manipulé. L’instinct de survie de Nikolai se réveille alors dans la saisissante scène de lutte du sauna où le corps de l’acteur, chair chaude saisie à froid, oscille entre l’animal et la viande. Il lui aura fallu parcourir tout ce chemin, d’abord de manière mécanique puis bestiale, pour nous révéler au final sa véritable nature, humaine. Quel parcours d’acteur au sein d’un seul film. Il paraît que Viggo est un grand fan de Bresson. Eh bien vous savez quoi ? Cela n’a vraiment rien d’étonnant.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
{"type":"Banniere-Basse"}