De Chris Marker à Hitchcock, bref inventaire des fantômes cinéphiliques hantant L’Armée des 12 singes.
Tout le monde sait que L’Armée des 12 singes est « inspiré » par La Jetée, mais plus rares sont ceux qui ont vu le petit chef-d’ uvre terrifiant de Chris Marker. Après une guerre nucléaire, ce qui reste de la population de Paris survit enterré sous les décombres. On envoie un homme dans le passé, juste avant que ne survienne la catastrophe, afin qu’il enquête sur les raisons du cataclysme. La fameuse jetée est la terrasse de l’aéroport d’Orly, bien connue des Parisiens qui allaient y rêver le dimanche, dans les années 60. L’homme du futur est hanté par une image de cette jetée : la scène de sa propre mort avec, pour témoin, lui-même enfant. Chris Marker raconte cette glaçante nouvelle de science-fiction avec le minimum de moyens et le maximum d’effets : le film dure une demi-heure, il est construit sur une série de photos en noir et blanc et sur une narration en voix off. Les images manquantes, le mouvement, le jeu des acteurs, les points de suspension sont laissés aux bons soins de l’imaginaire du spectateur. La Jetée est quasiment une ébauche, un croquis de film à faire, un plan de tournage, un story-board grâce auquel le public fait le film. Gilliam et ses scénaristes ont fait comme le public : ils ont conservé le squelette narratif de La Jetée, à partir duquel ils ont conçu L’Armée des 12 singes, choisissant des options esthétiques opposées à celles de Chris Marker. On passe de vingt-cinq minutes à plus de deux heures, du noir et blanc à la couleur, de la fixité de la photo à la prolifération des mouvements de caméra, d’un scénario réduit à l’os de son sujet à une thématique protéiforme… Chris Marker retranchait, Gilliam ajoute et empile. Le premier sollicitait les visions du spectateur, le second lui livre son imaginaire clés en main.
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De Chris en Hitch, la transition est aisée : Vertigo est l’un des films fétiches de Chris Marker. Un extrait de ce chef-d’ uvre romanesque vient illuminer de sa lumière noire la dernière partie de L’Armée des 12 singes. Mais bien avant cette déchirure de l’espace-temps cinéphile, les références hitchcockiennes et vertigineuses se ramassent à la pelle dans le film de Gilliam, cela dès la spirale du générique d’ouverture. Cole (Bruce Willis) est un descendant des faux coupables et autres hommes qui en savent trop : un innocent que tout le monde pourchasse, un homme seul que personne ne veut croire. Typiques encore du gros Alfred, la façon dont une femme est entraînée de force dans l’aventure (Jeune et innocent, Les 39 marches…), la découverte mutuelle du couple improbable au cours d’un voyage à travers les périls (Les 39 marches, Une Femme disparaît, La Mort aux trousses…), l’attrait romantique attisé ou empêché par les dangers encourus (pratiquement tout Hitchcock), les noces du sexe et de la mort… Bien entendu, les deux héros de L’Armée des 12 singes finissent par atterrir dans une salle de cinéma projetant un festival Hitchcock, et c’est devant la Madeleine de Vertigo que Madeleine Stowe se camoufle au moyen d’une perruque blonde, devenant physiquement une digne descendante des Grace Kelly, Kim Novak et autres Tippi Hedren. CQFD.
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