Trois films de genre des années 60/70 sont diffusés sur Arte à l’occasion de son cycle ciné-trash : un film de vampire du fameux Jess Franco, un beau film français avec la sublime Delphine Seyrig en Dracula féminine, et un méconnu giallo sixties.
Vampyros Lesbos, de Jess Franco (1971)
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Pénétrer dans l’oeuvre insensée de Jess Franco, (à peine deux cents films, une bagatelle), c’est s’exposer au danger de ne jamais pouvoir en sortir, tant le foisonnant labyrinthe de fantasmes qu’elle convoque exerce une fascination confinant à l’hypnose. Variation saphique de la légende de Dracula, où le soleil d’une île méditerranéenne remplace les ténèbres des Carpathes, et où le vampire a pris les traits languides de la sublime Soledad Miranda – égérie du cinéaste, décédée peu après le tournage en 1970 -, Vampyros Lesbos allie les promesses de la série B (érotisme, fétichisme, un soupçon de terreur) aux audaces formelles du cinéma expérimental : une esthétique du ressassement (de motifs) affranchie des contraintes narratives, livrant un pur débordement de pulsions, à l’image d’un trip à l’acide ou d’un long break de free jazz – Franco était lui-même musicien. En témoigne, la façon dont il étire le plan dans la scène de cabaret ouvrant le film. Caresses lesbiennes et strip-tease d’une lenteur hypnotique, comme pour épuiser le spectateur dans une longue transe voyeuriste, faisant écho à celle du cinéaste érotomane.
https://youtu.be/KtdwPgfCiMM
Les Lèvres rouges, de Harry Kümel (1971)
Il est des films-miroirs, dont l’éclat permet de saisir à la volée l’essence de celui ou de celle dont ils se font le reflet. Film culte et fleuron du cinéma fantastique arty, Les Lèvres rouges du belge Harry Kümel, est de ces œuvres-là, non seulement parce que Delphine Seyrig, incarnant la vénéneuse Comtesse Bathory – créature saphique à la jeunesse éternelle, jetant son dévolu sur un couple de jeunes mariés -, y campe peut-être l’un de ses plus beaux rôles. Mais surtout parce qu’à travers ce personnage de femme vampire au charme ensorcelant, le film livre en filtre un portrait secret de l’actrice, dont le jeu semblait lui aussi reposer entièrement sur le magnétisme ineffable et un art quasi divinatoire de la séduction. Inflexions suspendues d’une voix caressante, présence féline et flottante, comme absente à elle-même et au monde…
Porté par les ritournelles entêtantes de François de Roubaix, le film décline ainsi un esthétisme suranné et sulfureux, compulsant références picturales – symbolistes et surréalistes, de Chirico à Magritte – et citations cinématographiques – les Vampires de Feuillade, la scène de la douche de Psychose d’Hitchcock, dont Kümel propose une relecture étonnante. Bref, une splendeur.
Photo Interdite d’une bourgeoise, de Luciano Ercoli (1970)
Premier opus de Luciano Ercoli, cinéaste italien à la carrière éclair et parcimonieuse, Le Foto Proibite di una Signora per Bene s’inscrit dans le filon du giallo, thriller à l’italienne, inspiré des polars à la couverture jaune, dont le grand Mario Bava avait inventé le vocabulaire au milieu des années 60 : crimes sanglants à l’arme blanche, perpétrés sur des filles girondes et légèrement vêtues, dans des décors pop et colorés.
Si, à première vue, il ne brille pas par l’originalité de son scénario – une jeune femme mariée harcelée par un sadique, victime d’une machination digne d’un roman de Boileau et Narcejac -, le film sidère, par sa lenteur, et même sa langueur, atmosphériques, d’autant que, fait inédite pour le genre, aucun meurtre n’est montré à l’écran. C’est que l’intérêt de cet étrange objet pop à l’écriture somptueuse – cadrages et lumière soignés – tient essentiellement au postulat suivant : une aventure formelle, où la peur ne cesse jamais d’être désirable. L’héroïne étant tout au long du film pétrifiée de terreur, tant par la menace qui pèse sur elle, que par le désir qu’elle inspire ou celui qu’elle ressent.
Ainsi, l’articulation du désir et de la peur – le Sexe et l’Effroi, écrivait Pascal Quignard – qui est la matrice même du giallo, se trouve être précisément le pivot sur lequel repose tout le film d’Ercoli. Comme si, tout en délestant le genre de ses codes et oripeaux habituels (les crimes sanglants), il en avait retrouvé paradoxalement l’essence (la peur intangible, comme un désir inextinguible).
Cycle cinéma trash sur Arte:
Jeudi 15 septembre à 0h45 : Vampyros Lesbos, de Jess Franco
Jeudi 22 septembre à 0h45 : Les Lèvres Rouges, de Harry Kümel
Jeudi 29 septembre à 0h40 : Photo interdite d’une bourgeoise, de Luciano Ercoli
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