Huppert, Depardieu et le désert.
Il existe désormais une veine mineure, mais palpitante, de la filmographie de Gérard Depardieu dont l’objet serait de revisiter les grands couples de cinéma qu’il forma naguère avec les plus cruciales stars féminines du cinéma français. Ces romances-des-retrouvailles ont été célébrées plusieurs fois, par exemple, avec Catherine Deneuve : vingt-quatre ans après leur immarcescible rencontre du Dernier Métro, André Téchiné faisait de ce nouveau face-à-face l’enjeu majeur des Temps qui changent (avant que six ans plus tard François Ozon les caste encore en vieux amants que la vie a séparés puis réunis dans Potiche).
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Dans Mammuth, c’est Isabelle Adjani que Depardieu retrouvait (trente-quatre ans après Barocco, vingt-deux ans après Camille Claudel), mais sur un mode cette fois littéralement fantomatique (l’actrice y jouait un spectre). Peut-être y aura-t-il un jour une romance-des-retrouvailles avec Miou-Miou (mais plus que jamais planera alors la présence d’un fantôme – le troisième larron de leurs valses), Carole Bouquet (Trop belle pour toi), Fanny Ardant (ils se sont certes retrouvés mais jamais dans un film digne du souvenir de La Femme d’à côté) ou encore Nathalie Baye (mais leur filmo commune, pourtant profuse, ne comporte guère de films marquants). Pour l’heure, la femme retrouvée, c’est Isabelle Huppert.
Pourquoi y a-t-il une pertinence si forte à remettre Gérard Depardieu dans les bras de ses maîtresses de fiction passées ? Peut-être parce qu’il est le plus romantique des mythes masculins du cinéma français (beaucoup plus que Gabin, Belmondo, Delon, qui furent rarement de grands amoureux – chez Grémillon néanmoins pour Gabin, chez Truffaut pour Belmondo). Il y a chez Depardieu une fébrilité, une délicatesse pour jouer la chose amoureuse, qui en font un grand acteur de couples. Et aussi, parce que ce qu’il charrie aujourd’hui, son poids d’existence, mais aussi son impressionnante masse physique, en font le support idéal pour les méditations mélancoliques sur l’usure du temps et des choses, le partenaire idéal pour les histoires de reformation douloureuse de l’amour.
Malgré la fausse piste de son titre, Valley of Love n’est pourtant pas strictement une romance-des-retrouvailles. Si retrouvailles il y a, elles se font plutôt sous le joug de la contrainte et de l’acrimonie que de celui d’une résurgence de l’amour et du désir (même si celui-là, comme toujours, au moins le temps d’une scène, parviendra bien à se frayer un chemin).
Depardieu/Huppert : un duo aussi familier que des figures parentales
Depardieu et Huppert interprètent deux comédiens français connus. Ils furent un couple. Ils ont eu un enfant mais ne s’en sont guère occupé. Celui-ci vient de se suicider. Il a laissé une lettre, dans laquelle il demande à ses parents séparés, qui depuis longtemps déjà ne se supportent plus, de se plier à une liturgie curieuse, sept jours durant, tous les deux, dans la vallée de la Mort aux Etats-Unis.
La dimension métatextuelle de Valley of Love ne tient pas seulement au fait que Depardieu et Huppert y incarnent des acteurs français connus prénommés Gérard et Isabelle (ce serait plutôt un leurre). Elle gît plutôt dans la maigre part de fiction ayant trait à la demande folle de cet enfant mort. Pour tout cinéphile de la génération de Guillaume Nicloux (disons entre 40 et 50 ans), Depardieu et Huppert constituent un tandem presque aussi familier que des figures parentales.
L’enfant mort, figure déléguée du spectateur idolâtre ?
La scène primitive de ces parents terribles, celle où l’enfant se représente pour la première fois son père et sa mère faire l’amour, ce serait la scène inoubliable des Valseuses, où Gérard dépucelait la toute jeune Isabelle, avec le renfort du copain Dewaere. Puis vient la formation du couple, sa jeunesse et ses tumultes (Loulou de Pialat). L’enfant mort, ce serait une figure déléguée de ce spectateur idolâtre, qui tel l’œil sur Caïn, continuerait du tombeau de sa salle de cinéma à vouloir voir ce couple parental se reformer sans fin.
Entre le rituel morbide de cet enfant de fiction qui continue à adresser des lettres à ses parents pour les mettre en scène dans la vallée de la Mort, et le désir du cinéphile de prolonger à jamais les mythes de son enfance, une même pulsion démiurgique et mortifère est à l’œuvre. La force de Valley of Love est de ne pas chercher à raconter plus que ça. Depardieu, Huppert, leur art immense projeté face à face encore une fois, jamais en surrégime et captivants de bout en bout. Une esquisse de fiction, cacochyme. Et en toile de fond le désert, l’infini granitique de la vallée de la Mort. Qui devient vallée d’un amour – filial, cinéphile.
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