Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm, c’est l’histoire d’une fille et d’un garçon qui s’aiment et aiment le cinéma. Qui font un enfant, et de la maladie de cet enfant font un film galvanisant, « La guerre est déclarée ». Plus que jamais, l’avenir est à eux.
L’un et l’autre apparaissent dans des séries télé : Le Bureau, Clara Scheller… Si Valérie est déçue, Jérémie vit ces aléas avec plus de désinvolture. « Ce dilettantisme me convenait bien. J’ai quitté mes parents très jeune, suis devenu père très jeune, j’ai gagné ma vie très jeune… J’ai vécu ces dix ans à être un peu comédien, tout en voulant écrire, comme des années de formation, les années de fac que je n’ai pas eues. Je me suis beaucoup nourri des gens que j’ai rencontrés, des livres aussi, j’ai aussi fait beaucoup la fête… Pendant tout ce temps, j’ai beaucoup écrit, parfois avec Valérie, parfois seul. Mais un peu comme quand on fait les magasins en sachant qu’on ne va rien acheter. Un jour, j’étais content de ce que j’avais produit et le lendemain je trouvais que ça ne tenait plus la route. »
Durant ces années, leur premier enfant tombe malade. Valérie : « Le cancer de Gabriel a mis aussi la question de l’écriture en sommeil. Mais le combat contre sa maladie a complètement changé mon rapport au temps. J’ai cessé de m’angoisser sur le vieillissement, j’ai compris l’importance de savoir prendre le mal en patience, de devenir endurant. A la guérison de Gabriel, avec Jérémie, nous avons eu un autre enfant et nous nous sommes séparés. J’étais enceinte et j’ai ressenti fortement la nécessité de filmer mon ventre. Très vite, sans argent, avec la chef opératrice Céline Bozon, on a tourné un court métrage, Il fait beau dans la plus belle ville du monde. Une productrice n’est intervenue qu’après, pour nous aider à finir. »
« Je n’ai jamais douté que Valérie puisse devenir une bonne cinéaste »
Cette rapidité du passage à l’acte, c’est la force de Valérie Donzelli, en rupture avec l’extrême lenteur du processus de financement des films en France. Prendre de vitesse ces délibérations de commissions à rallonge, imaginer une autre économie, c’est la guerre que déclare la jeune comédienne à la pesanteur de fonctionnement du cinéma français, s’autorisant soudainement, peut-être transformée par ces épreuves personnelles, à prendre désormais en tant que cinéaste une parole qu’elle avait du mal à trouver comme comédienne.
« Je n’ai jamais douté que Valérie puisse devenir une bonne cinéaste, commente Jérémie. D’abord parce qu’elle cuisine bien. Il y a trois merdes dans le frigo et elle en fait un plat super. Quand elle prend une recette, elle est incapable de la suivre, elle invente, mais c’est toujours bon. Avec les cartons de l’ordinateur, elle fait une jolie table basse. Elle customise tout. Et j’ai toujours pensé qu’elle arriverait à mobiliser ce talent-là pour faire ses films. »
Le court métrage est présenté à la Quinzaine des réalisateurs, le premier long métrage est tourné dans la foulée, avec un budget de 7 000 euros (soit moins qu’un court métrage bien produit). C’est La Reine des pommes, une comédie radieuse sur la dépression amoureuse d’une fille (jouée par la cinéaste) qui voit son ex partout (et tous les rôles masculins sont tenus par Jérémie, également coscénariste). Irrésistible, le film séduit, réunit 30 000 spectateurs, ce qui au regard de son économie, en fait un triomphe. Quelques semaines après sa sortie, les deux auteurs entament l’écriture du second, La guerre est déclarée.
« Valérie était désormais attendue dans le registre de la comédie. Mais nous voulions faire un film qui soit le contraire de La Reine des pommes : en Scope plutôt qu’en format carré, sur un sujet dramatique, mais qui soit haletant comme un film d’action. »
Le sujet dramatique, c’est le cancer de leur fils. La question de l’autorisation (d’être actrice comme sa grande soeur ou Charlotte Gainsbourg, puis de réaliser des films) s’est toujours posée de façon aiguë pour Valérie Donzelli. Elle surgit à nouveau quand il s’agit de réinvestir un calvaire personnel de parent pour en faire une fiction. « Ce qui m’a autorisée, c’est de le faire avec Jérémie. On l’avait vécu ensemble, il fallait qu’on en fasse quelque chose ensemble. Et puis la possibilité du film est devenue évidente quand je me suis dit que ça serait un film d’action, que ça ne devait pas être la chronique de notre malheur mais le récit d’un combat, quelque chose de nerveux et positif. »
Jérémie surenchérit : « Pour nous accrocher à quelque chose, nous avons tenu un journal de la maladie de notre fils et nous nous y sommes replongés pour documenter tout ce qui est médical dans le film. D’une certaine façon, la condition pour pouvoir nous lancer dans l’écriture, c’est qu’on devait réussir à raconter qu’avoir un enfant qui a un cancer du cerveau peut être épanouissant (rires). Je sais, c’est spécial de dire ça, mais nous voulions que le film puisse laisser entrevoir ça, qu’il soit hyperpositif. »
Jérémie Elkaïm bientôt derrière la caméra
En mai dernier, le film connaît un accueil triomphal à Cannes et fait d’eux des gens très demandés. Valérie enchaîne son troisième film, en tournage en octobre. Elle n’y tiendra pas le rôle féminin principal, mais l’a dévolu à Valérie Lemercier. La comédienne y sera une professeur de l’Opéra de Paris s’éprenant d’un jeune artisan miroitier débarqué de province (Jérémie). Signe particulier : le film ne sera pas chanté, mais presque entièrement dansé.
Après ce tournage, Jérémie s’attellera à son premier long métrage en tant que réalisateur. Le casting est en cours. Il sait déjà qu’il n’y jouera pas, rompant là avec le système Donzelli, consistant à tenir toutes les places à la fois (modèle dans le réel, puis auteur, puis interprète, puis réalisatrice, etc.).
« C’est vrai que Valérie s’autorise plus fortement que moi à y aller vraiment. Elle est très libre. Moi, j’ai plutôt tendance à remettre les choses à leur place. »
Le film, écrit avec Gilles Marchand, parlera des chamboulements provoqués dans la vie d’un jeune homme par une passion sexuelle.
Après les années dilettantes viennent celles du travail intensif. Comment se voient-ils dans le paysage ? Valérie croit-elle par exemple qu’il y a quelque chose à dire sur l’émergence très forte d’une génération de cinéastes-filles ? « Bien sûr qu’il y a des choses à en dire ! Elles sont toutes là à dire que ça n’a rien à voir… Ben non, je pense que c’est important, qu’Agnès Varda la première a libéré une parole féministe dans le cinéma français, que nous nous sommes un peu délestées de cette dimension politique, mais que c’est toujours un peu un geste militant de réaliser un film en étant une femme. Ça ne va pas de soi. Moi j’assume tout à fait de faire des films de filles. Et même un film comme Polisse, qui fait très film de mecs, un homme ne l’aurait pas réalisé comme ça. Maïwenn fait du cinéma couillu de fille. » (rires)
Jérémie, lui, s’interroge sur le rapport au cinéma d’auteur français comme catégorie esthétique : « Ce qui est sûr, c’est qu’un film comme La guerre est déclarée, tourné dans ces conditions, avec cette liberté, n’est possible qu’en France. J’ai l’impression que le cinéma français est une maison. Il y a ceux qui en y entrant trouvent leur place et ceux qui y entrent mais pour déplacer un peu l’ordonnance de ce qui s’y trouve. Je ne sais pas si c’est ce qu’on fait avec Valérie, mais c’est ce qu’on aimerait. Autour de moi, peut-être parce qu’il y a eu un ras-le-bol des films un peu trop à leur place dans la maison cinéma, je vois pas mal de cinéastes plus ou moins de ma génération parvenir à la transformer un petit peu. »
Jean-Marc Lalanne