Valérie Donzelli et Jérémie Elkaïm, c’est l’histoire d’une fille et d’un garçon qui s’aiment et aiment le cinéma. Qui font un enfant, et de la maladie de cet enfant font un film galvanisant, « La guerre est déclarée ». Plus que jamais, l’avenir est à eux.
Suivons le trajet d’une petite fille, fait de va-et-vient entre Paris et province, née à Epinal dans les Vosges, grandie à Créteil, déménagée à 14 ans à Lille, puis revenue à Paris à 19 pour suivre un garçon. « J’étais amoureuse, il fallait que je le suive à Paris. J’ai donc cherché des études que je ne pouvais pas faire à Lille. Une école publique d’archi. » C’est Valérie.
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« Le cinéma était un monde dans lequel je n’étais pas autorisée à entrer »
Enfant, le cinéma n’était pas particulièrement valorisé dans sa famille. Elle voit des films sans développer de rapport cinéphilique. Elle aime bien faire le clown, joue des heures dans sa chambre à animer une fausse émission de radio, rate un peu sa scolarité.
« J’étais nulle en classe. J’avais des problèmes de concentration dingues, j’étais illogique, toujours hors sujet dans les dissertations… J’étais mauvaise, pas adaptée. Pourtant j’étais fascinée par les premiers de la classe. Je voulais toujours être leur amie. »
Un jour, la petite fille regarde à la télévision L’Effrontée de Claude Miller. Et comme toutes les petites filles de sa génération, elle se projette comme une folle sur Charlotte Gainsbourg. « Mais pourquoi ce n’est pas moi qui suis sur l’écran, maman ? » « Eh bien parce que tu ne t’appelles pas Charlotte Gainsbourg ! », répond sa mère avec pragmatisme. « Ça a eu un poids terrible cette phrase, se souvient aujourd’hui la jeune réalisatrice de La guerre est déclarée. Je me suis dit que le cinéma était un autre monde, qu’on ne pouvait pas y entrer, que je n’étais pas autorisée. »
Le grand-père de Valérie Donzelli (famille issue de l’immigration italienne) était peintre et sculpteur, son père cadre et, selon elle, il ne s’est jamais épanoui dans son travail. « Il dessine très bien, faisait de très beaux dessins humoristiques. Mais toute sa jeunesse, il a eu honte de la pauvreté de son père. Alors il a fait autre chose. » Des années plus tard, quand la jeune fille abandonne ses études d’archi parce qu’elle veut devenir comédienne, « il était plus qu’inquiet, il m’a insultée, m’a dit que je deviendrais clocharde », évoque-t-elle en riant à demi.
C’est aussi l’histoire d’un petit garçon, grandi dans la petite bourgeoisie intellectuelle parisienne, père prof, mère très cinéphile. Ses parents divorcent quand il est très jeune. Le cinéma prend une place importante dans sa vie. C’est Jérémie. « Je racontais l’autre jour à mon analyste que, lorsque j’avais 8 ou 9 ans, la nouvelle compagne de mon père avait joué à un jeu télévisé, le Jeopardy, qui consistait à trouver des questions à des réponses qu’on te donnait. Elle n’a pas remporté le premier prix, mais néanmoins un important lot de consolation : plusieurs centaines de films Warner en VHS. C’était délirant ! J’étais un enfant très seul, mon père était peu présent, j’ai regardé tous les films. Y compris Voyage au bout de l’enfer, Délivrance… le genre de films qu’on ne montre pas en général à un gamin de 10 ans. En plus, j’étais un peureux moi, un sensible. »
Si une histoire de garçon propulse Valérie de Lille à Paris, l’amour fait suivre à Jérémie la trajectoire inverse. A 14 ans, il veut suivre une fille en province, écrit une lettre à ses parents pour leur expliquer qu’il veut quitter la capitale.
« On dit souvent que l’amour des parents est inconditionnel. Moi je pense qu’il est très conditionnel au contraire. J’ai compris très tôt pour moi que la condition était que je donne l’impression d’être intelligent – que je le sois vraiment n’était pas l’essentiel. Alors j’étais un petit singe savant, je parlais comme un adulte. Je leur ai écrit que je trouvais la vie à Paris aliénante, que je voulais faire une école de cheval à la campagne et en bons soixante-huitards, ils ont accepté. »
Jérémie suit donc une scolarité à mi-temps, complétée par une activité de palefrenier. Lorsqu’il a 16 ans, sa mère l’incite à passer un concours pour participer à un jury jeunes au Festival de Cannes. Il fait partie des six élus et sa vie bascule au festival en 1995. Il y rencontre le jeune cinéaste Antoine Desrosières, dont le premier long, A la belle étoile, avec Melvil Poupaud et Chiara Mastroianni, vient de sortir. Les deux garçons sympathisent : le jeune cinéaste, séduit par la précocité de l’adolescent, le fait travailler dans sa maison de production, ils se lancent même dans l’écriture un peu expérimentale d’un long métrage, écrit et tourné au jour le jour, Banqueroute (qui ne verra le jour qu’en 2000).
« Je voulais être du côté de celui qui allume la mèche »
Très tôt, Jérémie veut écrire, réaliser des films. « Je n’ai jamais eu envie d’être acteur. Comme j’ai toujours eu un côté petite pute, séducteur, ça me paraissait facile de l’être. Mais j’ai toujours pensé que les acteurs étaient de la chair à canon. Même si avec le star-system, cette chair finit par devenir quasiment le canon. Mais moi je voulais plutôt être du côté de celui qui allume la mèche. »
Au départ, c’est la grande soeur de Valérie qui voulait devenir comédienne. Mais lorsque celle-ci renonce, la cadette se sent alors autorisée à affirmer qu’elle aussi le désire. Elle quitte donc ses études d’archi, tente des écoles de théâtre, entre au conservatoire du Xe arrondissement. « Et là, c’était l’horreur ! J’étais très mal dans ma peau. Entre l’archi et le conservatoire, il s’était passé un an, où j’ai fait un accident cérébral, finalement pas si grave. Je ne savais pas quoi faire de mes journées, alors je suis devenue boulimique… C’était pas une période très glorieuse. Et finalement je me retrouvais dans ce cours de théâtre, avec des élèves super prétentieux, une atmosphère de rivalité horrible où tout le monde commente les exercices que tu fais… Pour vivre, je vendais des gâteaux chez Ladurée. C’est à ce moment que j’ai rencontré Jérémie dans une fête. Il m’a dit ‘Tu veux devenir comédienne ? Mais pourquoi tu vends des macarons ? Et qu’est-ce que tu fous au conservatoire ? Ça sert à rien…’ Alors j’ai tout abandonné. »
Ils tombent amoureux. Désormais les choses vont très vite. A la fin des années 90, Jérémie Elkaïm a à peine 20 ans, il enchaîne comme comédien quelques courts métrages (François Ozon, Olivier Séror) et vient d’être engagé pour le premier long métrage de Sébastien Lifshitz, Presque rien. C’est quasiment en même temps qu’ils obtiennent un grand rôle dans un film d’auteur assez exposé : tandis que Jérémie incarne les tourments du coming-out homosexuel dans Presque rien (2000), Valérie Donzelli défend à Cannes l’année suivante Martha Martha de Sandrine Veysset (2001), où elle tient le rôle-titre.
« J’avais l’impression que jouer ne me remplissait pas vraiment »
Ces deux succès de débutants ne sont pas vécus de la même façon pour l’un et l’autre.
« Après Presque rien, j’ai compris qu’il allait falloir que je dépasse mes empêchements, raconte Jérémie. J’ai une vraie affection pour le film, mais je me suis dit, si tu ne fais que ça, tu ne vas pas être heureux. J’avais l’impression que jouer prenait beaucoup de place, d’investissement, de vie, mais ne me remplissait pas vraiment. »
Valérie vit ce départ avec plus d’enthousiasme. « Quand j’ai appris que Sandrine me prenait, c’était le plus beau jour de ma vie. J’adorais Y aura-t-il de la neige à Noël ?, le rôle était magnifique… Je pensais que ça serait toujours ça, ma vie d’actrice… »
Mais les choses se passent un peu différemment. « Très vite, je me suis retrouvée à faire de tout petits rôles dans des films que je n’aimais pas vraiment. J’ai vraiment été déçue. Je rêvais de jouer dans de grandes comédies, de tourner avec Jean-Paul Rappeneau, j’étais extrêmement jalouse du rôle de Virginie Ledoyen dans Bon voyage… »
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