Lyna Khoudry en dreads, François Civil en flic (en civil), l’amour au temps de la ZAD. La parabole de Disney+ sur fond d’éco-activisme était une purge annoncée : c’est tout de même énervant, mais c’est heureusement drôle.
Les belles causes ne font pas toujours de bons films – en font-elles jamais ? On n’a pas vu grand chose de pire sur les écrans dernièrement que les fictions sur fond d’activisme politique nouvelle génération. Cinéma (Avant l’effondrement), séries (Salade grecque), films de plateforme – tout particulièrement les plateformes, ce qui ne manque pas d’ironie vu le degré de moralité de ces entreprises – semblent s’être donné le mot pour se mettre “au diapason de la société” par l’entremise de récits éculés filmés dans des dioramas de militantisme contemporain reconstitué. Dernier en date : Pocahontas à Notre-Dame-des-Landes, donc une romance flic-zadiste en milieu décroissant, produite par la société de divertissement la plus puissante de l’histoire de l’humanité.
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Outre l’étonnant contraste producteur-propos (en droite lignée du Salade grecque pour Amazon il y a un mois), le problème est surtout affaire de ton et de regard. Comme s’il n’était plus possible de filmer ces mondes autrement qu’avec cette espèce d’affection qui trahit sans doute un mélange paradoxal de crainte déférente du sujet (peur du procès en malveillance) et de mépris total d’icelui – comme en atteste cette décomplexion à l’idée de tout figer dans des automatismes de représentation parfaitement désinvestis et publicitaires. Tout le monde ânonne des discours prêt à l’emploi, parce qu’au fond tout le monde (interprètes, réalisateur, studio) s’en fout royalement.
Le personnage principal de Zone à défendre respecte les standards du genre : c’est un ingénu vaguement centriste, conduit par les aléas de la vie à la rencontre de vingtenaires engagés qui vont lui faire, à lui en même temps qu’aux spectateur·ices, une cinglante leçon de vie sous forme de discours politiques “jeunifiés” par un argot de téléfilm teenage français 90s (“mec, genre, questionne tes privilège de classe quoi !”). Le film va alors se vautrer dans le didactisme, acquis à l’idée aussi répandue que fausse selon laquelle un film politique est un film sur des personnages qui parlent de politique. Résultat : un tunnel de faux débats empruntés et pipés.
Obsolescence programmée
Si Zone à défendre est nul, c’est pour beaucoup d’autres raisons, et certaines suffisamment drôles pour rendre son visionnage finalement plutôt récréatif : ses motifs gauchos d’une obsolescence sidérale (improbable scène de danse en rond façon gigue champêtre : pourquoi Romain Cogitore pense-t-il que les éco-activistes font la fête comme au XIIIe siècle ?), sa naïveté sans doute pas étrangère à l’ombre portée disneyenne (le camp évoquant le repaire des enfants perdus de Hook, le bal batucada-violon désaccordé façon Cantina de Tatooine, Lyna Khoudri grimpant dans les arbres…), ses coups de force tapageurs (le premier plan-séquence déambulatoire et nocturne à travers le camp, en steadycam avec un point d’écoute très mobile sautant d’une guitare sèche à un débat sur le capitalisme : on est entre la pointe du formalisme en plan-séquence à la Bi Gan et un certain canevas de séquence introductive de jeu vidéo type Horizon ou The Last of Us 2).
Mais impossible devant tout cela de ne pas penser, notamment, au Problemos de Blanche Gardin et Éric Judor, c’est-à-dire à un film qui a pu regarder cet univers avec un pas de côté, une prise de distance, sans s’en faire le pamphlétaire pour autant. Et sans forcément imposer la parodie, on peut tout autant déplorer le déclin vis-à-vis de tous les lointains cousins d’un cinéma schématiquement “de gauche”, qu’il soit de Guiraudie (Ce vieux rêve qui bouge), de Rabah Ameur-Zaïmeche (Wesh wesh qu’est-ce qui se passe) : autant de films vivants, libres, et donc à la hauteur de leur étiquette, à côté desquels il ne reste qu’à rire jaune face à de tels sous-produits de divertissement dépolitisé, qui prétendent célébrer l’engagement, donc l’émancipation, et qui font tout le contraire, se formatent jusqu’à la moelle, carburent au préconçu, se vautrent non seulement dans le nanar de luxe, mais surtout dans la pire des caricatures pontifiantes.
Une zone à défendre de Romain Cogitore, sur Disney+.
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