Avec « Une Vie à l’étroit » Kantemir Balagov subjugue par son éclaboussant talent de filmeur et livre un premier film d’une grande maitrise, entre James Gray et Maurice Pialat.
A Cannes, avouons-le, les films s’enchaînent à une telle cadence que l’on est parfois touché par le syndrôme du manque de lucidité, de la difficulté à repérer les détails qui distinguent un film de la masse des « bien faits mais mille fois déjà vus ». Et puis surgit parfois l’objet qui sort du lot par son évidence, qui récure d’un coup le regard et vous donne la certitude que vous venez de rencontrer un pur talent de cinéma : Une Vie à l’étroit est de ceux-là et sans préjuger de la suite du parcours du jeune Kantemir Balagov, il vient de ciseler à coup sûr un bijou de premier film. Balagov est originaire du Caucase et a tourné ce film dans sa ville de Nalchik d’après un fait-divers réel. Mais réel ou pas, il subjugue surtout par son éclaboussant talent de filmeur, palpable dans chaque plan exsudant d’intensité, de juste durée, de beauté, de silences dénués de toute complaisance auteuriste. L’histoire qu’il raconte n’est pas franchement fun. Dans une famille juive, on célèbre les fiançailles du fils avec une fille juive du voisinage – les parents sont donc très heureux. Mais le soir même, les tourtereaux se font enlever par des mafieux qui réclament une rançon. Les parents recherchent des fonds parmi la communauté juive, peu solidaire, puis décident de marier leur fille pour obtenir l’argent de la dot. Mais Ilana est une rebelle : elle bosse dans le garage paternel, fume en cachette, ne veut en aucun cas épouser le garçon de « bonne famille » juive choisi par ses parents car elle est amoureuse d’un Kabarde, ce qui n’est pas anodin dans cette région-mosaïque fracturée par les tensions inter-communautaires.
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Entre Gray et Pialat
Cette histoire à la James Gray est filmée selon une facture qui évoque tantôt Gray (lumières chaudes, attention aux rituels communautaires, foyer familial vu à la fois comme un cocon et une prison…) tantôt Pialat (art du visage, tension à fleur de peau, révolte sous-jacente…). Partir ? Rester ? S’émanciper ou demeurer soudé à sa « tribu » pour reprendre le mot de la mère? Telle est la question qui divise parents et enfants de cette famille juive selon des lignes oedipiennes. Ce feu mijotant au sein de la famille renvoie à celui qui couve dans une région où se haïssent Russes, Kabardes, Tchétchènes, musulmans, islamistes et où le point commun entre ces groupes divisés reste l’antisémitisme. Mais encore une fois, ce substrat socio-politique ne prend jamais le pas sur le regard de Balagov qui tient sa cohérence, sa densité et sa justesse quasiment de bout en bout (petit bémol, il a du mal à conclure son film). Les acteurs sont tous tip-top, doués d’une hyper-présence sans jamais en rajouter, mais on s’autorisera à mettre particulièrement en lumière Darya Zhovner (Ilana) qui est vraiment géniale et ressemble beaucoup à Sigourney Weaver. Selon notre baromètre perso, Une Vie à l’étroit est candidat sérieux à la Caméra d’or.
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