La lutte des classes en Iran sous la forme d’un frénétique film à suspense.
Souvent, l’Ours d’or berlinois est issu de la catégorie redoutée grand sujet/petit film.
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Une séparation enfreint magnifiquement cette règle : c’est un grand film qui part d’un petit sujet (en apparence).
Au départ, une banale situation de couple en conflit, au bord du divorce. Elle veut partir vivre à l’étranger, pour elle et pour l’avenir de leur fille ; il préfère rester en Iran, pour leur fille aussi, et pour s’occuper de son vieux père malade.
Ce qui est déjà moins banal, c’est que ce couple ne correspond pas à l’image que l’on se fait bêtement d’un couple iranien : pas de turban et de tchador à l’horizon, mais un homme et une femme qui par leurs vêtements (à l’exception du foulard de l’épouse), leur cadre de vie urbain, leur façon de réagir et de s’exprimer pourraient aussi bien vivre à Paris, Londres ou New York.
A la situation de famille en plein psychodrame s’ajoute bientôt une autre couche conflictuelle : l’employée de maison du couple, engagée pour s’occuper du grand-père malade, s’absente un jour quelques heures (elle est enceinte et doit passer des examens médicaux). Or, pendant son absence, le vieux fait une chute.L’employée se fait licencier, le ton monte entre les parties ; police, procès.
L’enchaînement de causes et d’effets de plus en plus chaotiques est le principe moteur du film. Un simple grain de sable dans les relations peut faire boule de neige, entraîner d’autres conflits secondaires et tertiaires, comme dans la théorie des réactions en chaîne.
Et comme dans certaines expériences chimiques, Une séparation progresse sur une série d’explosions relationnelles qui font grimper le tensiomètre avec une force et un sens du rebond impressionnants.
Mais derrière cette matière humaine qui suffirait à faire d’Une séparation un film fort, se déploient des strates philosophiques et politiques tout aussi admirables (et c’est là que l’on voit que les sujets visibles ou latents du film ne sont pas si petits que ça).
Une séparation pourrait ainsi être vu et lu comme un questionnement sur le concept de vérité. Les conflits évoluent au cours du film, au fur et à mesure des différents points de vue des protagonistes et d’éclairages que l’on ne percevait pas au départ.
La vérité est-elle univoque et gravée dans le marbre des faits ? Ou bien est-elle polysémique, évolutive, selon le point de vue de chacun ? Question de philo et de cinéma, au cœur de ce film qui n’a pourtant rien de didactique.
Et puis, à travers cette lorgnette des petites guerres banales du quotidien opposant des couples ou des concitoyens, c’est un tableau de l’Iran contemporain qui apparaît en filigrane, avec ses institutions débordées, ses inégalités sociales, ses tensions de classes, un état de nerfs généralisé en lequel on ne peut s’empêcher de reconnaître la situation politique actuelle du pays.
Jouant en permanence sur ces trois niveaux, intimiste, philosophique et politique, Une séparation est surtout un film extrêmement physique, tendu, électrique, plongeant ses acteurs (tous extraordinaires d’intensité) et sa fiction dans le bain bouillonnant de la société iranienne réelle.
Un cinéma du plein, âpre, sans répit, riche en montées d’adrénaline, aussi éloigné de la joliesse à la Makhmalbaf que des grands films concepts de Kiarostami, un cinéma évocateur d’auteurs comme Kechiche ou Mungiu, référents peu usités dans le cinéma iranien.
Après A propos d’Elly, Asghar Farhadi confirme son statut de cinéaste qui compte, et qui parvient à bousculer l’idée qu’on se fait de l’Iran tout en élargissant notre image du cinéma iranien.
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