Deux films en un, un film en deux, un miroir inversé. La sortie en vidéo d’Une Sale histoire est un événement considérable, et il est permis de rêver que les heureux possesseurs de cette cassette n’auront de cesse de prolonger le dispositif eustachien en le projetant à un auditoire féminin judicieusement choisi. Les élues se […]
Deux films en un, un film en deux, un miroir inversé. La sortie en vidéo d’Une Sale histoire est un événement considérable, et il est permis de rêver que les heureux possesseurs de cette cassette n’auront de cesse de prolonger le dispositif eustachien en le projetant à un auditoire féminin judicieusement choisi. Les élues se récrieront-elles devant « l’histoire des chiottes » ? Sans doute pas. Plus de vingt ans après sa sortie - qui fut houleuse-, Une Sale histoire ne court qu’un seul risque : ne scandaliser personne, les femmes pas plus que les autres. Tant pis pour la provocation, tant mieux pour la redécouverte sereine d’un film brûlant d’intelligence. A la fois essai sur la puissance de la fiction et la reproductibilité de l’oeuvre d’art et chant d’amour fou, Une Sale histoire convoque les puissances de la parole et les pousse à leur point d’incandescence : le monologue, non pas intérieur mais public, livré en pâture, à l’instigation d’un bon maître (Douchet, tel qu’en lui-même, c’est-à-dire encore un peu plus théâtral) ou d’un cinéaste (Eustache) qui livre son mauvais modèle (Picq, héros-narrateur de cette histoire pas si sale) à un auditoire de femmes censées se scandaliser. Las, les filles écoutent poliment le conteur et oublient de le traiter de pervers : « Je trouve ça très bien », hasarde même l’une d’elles. Elle a aimé le spectacle qui lui a été proposé, elle en a joui, comme nous, par l’oreille. En vidéo, les différences entre les deux versions ont tendance à s’aplanir et la version 35 mm jouée, « fiction », avec Lonsdale tranche moins qu’en projection sur celle en 16 mm, « documentaire », avec Picq dans son propre rôle. Mais le trouble subsiste. Parce qu’en commençant avec la « fiction », Eustache brouille les cartes, et insinue que Picq pourrait bien être un imposteur, un simple spectateur, qui aurait vu le film avec Lonsdale avant de se l’approprier pour briller en dérangeant devant un cercle d’auditrices suspendues à ses lèvres. Plutôt que son instigateur, Picq est le propagateur de la fiction parmi nous. Ce qui ne peut se montrer des sexes, quel intérêt ? peut se raconter, se représenter dans un vertige de sens. Cette histoire de « trou » et de « visée directe sur le sexe » est donc affaire de transmission plutôt que de consommation. En filmant Lonsdale puis Picq raconter une même sale histoire, Eustache s’affirme une fois de plus comme un grand primitif qui use de la plus grande sophistication pour remonter à l’origine du monde.
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