Le conflit arménien et la lutte de ceux qui ont œuvré à sa mémoire, traités tout en subtiles métonymies.
Comment raconter le génocide arménien ? Quelle fiction pour en rendre compte ? C’est, on le devine, la question que s’est posée Robert Guédiguian, lui-même d’origine arménienne. Et il lui a trouvé une réponse ingénieuse, typiquement cinématographique : en ne le filmant pas.
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On est loin du Fils de Saul – c’est un constat, nullement un jugement de valeur. Le choix de Guédiguian consiste à accueillir dans cette histoire tragique un élément qui lui est extérieur. Un jeune homme qui n’y est pour rien et qui a eu la malchance d’être la victime collatérale, au début des années 1980, d’un attentat contre l’ambassadeur de Turquie à Paris perpétré par de jeunes descendants d’Arméniens. Il y perd l’usage de ses jambes.
Existe-t-il un terrorisme légitime ?
Ce personnage très bien dessiné, en colère, désespéré, qui va ouvrir le cœur d’une famille (celle des parents désolés du terroriste, Ariane Ascaride et Simon Abkarian) est interprété par Grégoire Leprince-Ringuet. C’est de cet autre, de cet étranger que le couple recueille littéralement comme un double de leur fils, que naît tout l’intérêt et surtout l’émotion d’Une histoire de fou.
En évitant de s’attaquer à une représentation frontale du génocide, Guédiguian se concentre sur ses effets, ses conséquences, et notamment un crime commis en Allemagne au début des années 1920 par un jeune Arménien que la justice finira par déclarer non coupable. C’est sur cette non-culpabilité que le cinéaste marseillais va construire intelligemment son récit, qui ne va cesser de poser cette question encore brûlante aujourd’hui : a-t-on le droit de tuer (le terrorisme) au nom de la vérité (la reconnaissance d’un génocide avéré) ? Existe-t-il un terrorisme légitime ? La bonne nouvelle étant qu’en bon dialecticien, Guédiguian ne répond jamais, dans son film, à la question, la laisse en suspens, en méditation au spectateur.
Maîtrise totale et discrète
Certes, Guédiguian, dans sa manière, se montre parfois un peu didactique. Mais, grâce à ses acteurs, grâce à cet art qu’il possède de décrire des gens modestes sans surplomb, sans cynisme, sans second degré, il réussit indirectement à nous passionner pour l’histoire de la lutte des Arméniens pour la reconnaissance de leur génocide. Tout cela est intelligent et démontre la maîtrise totale et discrète qu’il a de l’art du récit.
Le couple Abkarian-Ascaride fonctionne à merveille : on est ému par leur tristesse, leur humanité, leur drôlerie, leur dignité. Bons sentiments ? Peut-être. Mais ces sentiments nous invitent – distinguo qui marque la subtilité du travail de Guédiguian – non à la commisération, mais à la compassion.
Une histoire de fou de Robert Guédiguian (Fr., 2015, 2 h 14)
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