Comment réparer les vivants après l’horreur de la guerre ? Un drame historique harassant de pessimisme, au regard pourtant plus attachant qu’il n’y paraît.
Au lendemain de la seconde guerre mondiale, le portrait croisé de deux femmes traumatisées par le siège de Leningrad. Alors qu’une relation ambiguë se tisse entre elles, le duo va reprendre repossession d’un corps que les horreurs de la guerre leur avaient kidnappé. Vu de loin, l’œil un peu paresseux, le second film du cinéaste russe après le très remarqué Tesnota (2017) semble marcher sur les traces d’un cinéma d’esthète et misanthrope dont la sélection officielle se fait contaminer chaque édition par une poignée de films depuis maintenant quelques années.
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Il faut dire que la caméra de Kantemir Balagov provoque à certains moments l’analogie dans sa façon parfois cruelle d’emmurer le duo d’héroïne en souffrance dans des cadres millimétrés à la plastique impeccablement construite. En tête une séquence particulièrement problématique dont nous ne dirons rien du déroulement mais que ceux qui ont vu le film n’auront aucun mal à identifier.
De même, le récit à la main trop lourde lorsqu’il fait endurer à ces personnages une panoplie de catastrophes comme si les murs de l’hôpital, lieu central du film, aimantaient en son sein l’intégralité du malheur humain. Une noirceur extrême qui ferait passer Schopenhauer et Houellebecq pour des clubbeurs en pleine montée d’ecstasy. Pourtant, Une grande fille évite de s’ériger en un simple laboratoire de la souffrance. Au-delà de sa pesanteur pessimiste, Balagov regarde avec compassion le duo d’héroïne dont il accorde un salut inattendu lors d’un final très émouvant. Rejetant l’affiliation du « cinéma de salaud » dont il aurait pu cocher toutes les cases, Une grande fille appartient au fond à une autre lignée filmique, plus ingrate : celle des œuvres dont la traversée se veut délibérément éprouvante, qui retiennent leur chaleur tout du long avant de la libérer brutalement dans un ultime mouvement. Une logique de contraste percutante car il est vrai, la lumière brille avec toujours plus d’éclat lorsqu’elle surgit du noir complet, sauf que le spectateur, lui, devra s’armer de persévérance s’il veut en apercevoir l’éclat.
Une Grande Fille de Kantemir Balagov (Rus., 2h17, 2019) avec Viktoria Miroshnichenko et Vasilisa Perelygina
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